Née dans le Haut-Rhin et morte dans l’Arizona, Monique Wittig n’a cessé, littéralement et dans tous les sens, de battre en brèche les frontières. Son premier livre,
L’Opoponax, prix Médicis 1964, est salué par la critique internationale comme par les nouveaux romanciers ; il sera traduit dans 12 langues. Après des études à la Sorbonne et sa traduction de
L’Homme unidimensionnel de Marcuse (1968), elle est cofondatrice du Mouvement de libération des femmes et publie
Les Guérillères (1969
). Elle est de celles qui déposent, en août 1970, une gerbe sous l’Arc de triomphe à la femme du soldat inconnu. Membre des Gouines rouges et des Féministes révolutionnaires, elle écrit
Le Corps lesbien (1973). En 1975, elle fait paraître, en collaboration avec sa compagne, Sande Zeig, un dictionnaire du lesbianisme,
Brouillon pour un dictionnaire des amantes. En 1976, elle abandonne « Paris la politique » pour vivre aux États-Unis. Récusant l’idée de « littérature féminine », elle refuse bientôt le terme même de « femme » pour lui préférer celui de « lesbienne » qui ne se définit plus par ses relations aux hommes, et est essentiellement transfuge. Avec
The Straight Mind, qui réunit des essais écrits pour l’essentiel entre 1978 et 1990, elle dénonce ce qu’il est convenu de percevoir comme « naturel » (les notions d’homme, de femme, la procréation) et invite les femmes à s’affranchir du système féodal hétérosexuel et à devenir politiquement lesbiennes. Elle prend également pour cibles ce qu’elle appelle le féminisme différentialiste, le
French feminism, et l’ensemble des savoirs qui, selon elle, restent gardiens de l’ordre symbolique, comme la psychanalyse et l’anthropologie structurale. Elle publie
Virgile, non (1985), des nouvelles et cinq pièces de théâtre, dont
Le Voyage sans fin, monté par la compagnie Renaud-Barrault au théâtre du Rond-Point : autant de textes hors genres, qui s’attachent à redéployer
Le Chantier littéraire (selon le titre du mémoire qu’elle soutient sous la direction de Gérard Genette en 1986 à l’École des hautes études en sciences sociales). Espace de liberté possible, le langage doit permettre de se rebeller contre la sexuation pour « construire une idée du neutre qui échappe au sexuel ». C’est toute son œuvre littéraire qui se veut « machine de guerre » : contre l’hétéronormativité, la fiction, l’invention littéraire et théorique deviennent des armes de combat.
Catherine BRUN