Diplômée de la faculté de philologie de l’Université de Bucarest (1953), Nora Iuga enseigne l’allemand à Sibiu, puis travaille comme rédactrice de publications roumaines en langue allemande et aux Éditions scientifiques et encyclopédiques de Bucarest (1969-1977). À ses débuts, elle écrit une poésie à la structure fragmentaire, rappelant la « dictée automatique » des surréalistes. Révélant ses penchants ludiques et ironiques, elle y cultive des rencontres fortuites entre objets et états d’esprit et des associations aux effets grotesques. Le recueil
Captivitatea cercului (« la captivité du cercle », 1970), qui s’inscrit dans la même démarche, joue de manière insolite des images et des ruptures syntaxiques. Elle exploite les conventions poétiques classiques dans
Scrisori neexpediate (« lettres non expédiées », 1978), qui se présente comme un « roman de province au style 1920 », sous la forme d’un échange épistolaire entre deux amoureux. Le lyrisme de la confession directe et celui dérivant de la convention littéraire s’associent dans l’un de ses livres les plus représentatifs :
Opinii despre durere (« opinions sur la douleur », 1980). Le désarroi et la confusion de l’esprit devant un univers labyrinthique, aléatoire et en pleine désagrégation s’accentuent dans le recueil
Le Cœur comme un poing de boxeur (1982). Le sentiment que la littérature et la poésie se sont dévaluées face à une réalité en décomposition est des plus forts. Une vision insolite est proposée dans
Piaţa cerului (« la place du ciel », 1986), dont le sous-titre est « journal de cuisine » et où les gestes quotidiens de la cuisinière se mêlent avec les mouvements de l’écriture. Visant à la fois le spectacle du monde et celui du texte poétique, les poèmes du recueil
Autobuzul cu cocoşaţi (« l’autobus des bossus », 2002) en donnent une vision carnavalesque et parodique aux forts accents grotesques, de souche expressionniste. Les romans
Sǎpunul lui Leopold Blum (« le savon de Léopold Blum », 1993),
Sexagenara şi tânǎrul (« la sexagénaire et le jeune homme », 2000) et
Lebǎda cu douǎ intrǎri (« le cygne à deux entrées », 2003) allient subtilement, d’une part, la confession d’une sincérité frappante, la minutie des descriptions rappelant Joyce et de la notation des faits de la vie sociale et politique, et, d’autre part, la richesse d’une imagination poétique et d’une technique d’écriture redevables au surréalisme.
Ion POP