Après des études supérieures de philosophie – exceptionnelles pour l’époque –, Paulette Bernège étudie les travaux des animatrices du Domestic Science Movement, un taylorisme ménager lancé et dirigé outre-Atlantique par Christine Frederick. Elle en devient la principale promotrice en France et exhorte les femmes à ménager leurs efforts, à supprimer tout ce qui n’est ni indispensable, ni rationnel dans l’exécution des tâches ménagères, développant ainsi les « sciences domestiques ». Elle réclame du confort dans les logements – eau, électricité, gaz –, ce qui alors ressemble fort à une utopie. Elle multiplie les conférences en France et à l’étranger, publie articles, livres et brochures destinés à mettre au point une « physiologie de l’habitation », empruntant ses préceptes à la rationalisation du travail dans l’industrie. En 1923, elle fonde un Institut d’organisation ménagère à Nancy, soutenu par la revue Mon chez moi dont elle est la rédactrice en chef jusqu’en 1930. Elle lance la Ligue de l’organisation ménagère (1925) afin de revaloriser et professionnaliser le travail domestique, et rédige un rapport sur Les Professions ménagères (1926). En réaction contre le ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, L. Loucheur, qui élabore une loi planifiant la construction de logements sociaux sans consulter la Ligue de l’organisation ménagère, P. Bernège publie Si les femmes faisaient les maisons (1928). Dans ce manifeste d’architecture, elle exprime « les désirs et les revendications » des femmes oubliées par le projet de loi, car « les ménagères que nous sommes diront aux architectes et aux entrepreneurs ce qu’ils ignorent toujours : en quoi consiste l’efficience du travail ménager ». Elle publie également De la méthode ménagère (1928) – un succès de librairie réédité à quatre reprises et traduit en plusieurs langues –, puis un ouvrage sur les Rapports financiers entre époux. Infatigable, elle crée l’École de haut enseignement ménager à Paris (1930) et ambitionne de fonder un institut des sciences domestiques qui, faute de budget, ne verra pas le jour. Elle entretient des relations avec les mouvements féministes internationaux. Pionnière, P. Bernège a marqué le début du siècle par son aspiration à promouvoir « des formes d’organisation sociale et d’éducation fondées sur une compréhension scientifique de l’esprit et du corps humain » (Clarke). Ses travaux ont largement inspiré les cours et les manuels d’enseignement ménager jusqu’en 1960 et son influence est indéniable dans les magazines féminins des années 1950. La cuisine équipée de façon rationnelle est sans doute l’héritage le plus visible de son œuvre.
Joumana BOUSTANY