En Suède, des femmes se forment à l’art du jardinage dès le XIXe siècle, parfois pour exercer comme jardinière-paysagiste, métier peu rentable et donc plus accessible. Après un an de stage pratique chez un jardinier, il faut suivre deux années d’enseignement dans l’une des écoles d’horticulture et, si possible, compléter ses études à l’étranger. À la fin du siècle, le courant Arts & Crafts et le mouvement en faveur des cités-jardins œuvrent pour une amélioration des conditions de vie dans les campagnes, pour freiner l’émigration suédoise. Un système d’emprunt permet alors à tout Suédois actif d’acheter ou de louer un terrain constructible et d’y bâtir une maison entourée d’un jardin. Ce modèle architectural se répand rapidement dans les faubourgs et, dès le début du XXe siècle, dans les villes où il est transformé en immeubles collectifs entourés d’espaces verts. Il y prend des formes moins urbaines, plus aérées et diversifiées que sur le continent. Dès les années 1930, il est le pivot de l’idéal suédois, celui du « foyer du peuple » (folkhemmet), qui vise à donner à chaque citoyen un logement lumineux et entouré de verdure. Concernées, les femmes s’impliquent, telles la féministe et militante sociale-démocrate Anna Lindhagen (1870-1941), qui fonde le mouvement des jardins familiaux en location, ou Ester Claesson (1884-1931), enseignante, paysagiste et auteure. Elle est, en 1914, la première femme à ouvrir une agence de paysagiste en Suède. À Humleboet (1925), l’un des ensembles les plus réussis du quartier de Rödabergen à Stockholm, elle associe des espaces réguliers, plus ou moins privés, soulignés par différents minéraux. Poubelles et installations pour battre les tapis sont cachées par des haies de feuillus entre des aires de jeux, des pelouses et d’étroits parterres avec de petits arbres à fleurs et des plantes grimpantes résistantes. Cette alliance d’un jardin régulier et architectural et d’une végétation relativement libre et durable se retrouve dans son jardin d’Adelnäs à Sånggården (1910), dans celui de l’hôpital de la Croix-Rouge à Stockholm (1922) et dans plusieurs cimetières.
Ayant ouvert son agence à Stockholm en 1938, Ulla Bodorff (1913-1982) compte également parmi les premières à vivre de son activité de paysagiste. Ses œuvres sont marquées par un fonctionnalisme romantique nordique, ses aménagements respectent la topographie des lieux et démontrent que le jardin-parc urbain peut former un paysage naturel, sauvage et habitable. Cela caractérise les quartiers qu’elle a conçus dans les années 1940, tels Liljan à Uppsala, Höjdgatan à Nynäshamn, Järvafältet et Reimersholme à Stockholm. Citons aussi Anna Mohr Branzell (1895-1983), première femme architecte diplômée de l’École polytechnique royale de Stockholm en 1919. Stagiaire chez Gunnar Asplund (1885-1940) et Sigurd Lewerentz (1885-1975) pendant ses études, elle effectue également des relevés de châteaux pour le livre d’Hakon Ahlberg (1891-1984) consacré à l’art du jardinage suédois (Svensk trädgårdskonst, 1930). Après son examen, elle dessine des villas pour l’architecte norvégien Arnstein Arneberg (1882-1961) à Oslo, puis elle part pour les États-Unis où elle décroche un master d’art au MIT (Institut de technologie du Massachusetts) et travaille dans une agence à New York. De retour en Suède, elle épouse l’architecte Sten Branzell (1893-1959) et s’installe à Göteborg où elle réalise des centaines d’aires de jeux, de places et de parcs publics, en tant qu’employée de la direction municipale de l’urbanisme de 1943 à 1960. Elle participe au débat sur l’aménagement urbain en luttant contre les parkings ainsi que l’expansion des grandes surfaces et en prônant une amélioration des aires de jeux, dont elle souligne l’utilité pédagogique. L’un de ses motifs favoris est une grande pataugeoire et un bac à sable entourés de plantes, arbres et fleurs.
À ce tableau, il faut ajouter celles dont le nom est aujourd’hui dissimulé par l’ombre de leur coéquipier, telle Inger Wedborn (1911-1969) qui, après avoir été formée en Allemagne, est engagée par Sven Hermelin (1900-1984) dont elle devient l’associée, participant ainsi à la conception de nombreux parcs et jardins aujourd’hui uniquement attribués à son partenaire.
Linnéa ROLLENHAGEN TILLY