Fille d’un sergent d’Abbeville, Marie-Jeanne Bertin entre en apprentissage dans une maison de modes à Paris vers 1760 et gravit rapidement les échelons de cette profession. En plus d’un goût sûr pour l’arrangement des parures, elle montre de grandes capacités de gestion commerciale et devient pour un an le premier syndic de la toute nouvelle communauté des marchandes de modes, en septembre 1776. Sa boutique, Au Grand Mogol, rue du Faubourg-Saint-Honoré, puis rue de Richelieu, est un des lieux renommés de Paris pour la fourniture des chapeaux puis de tous les éléments des toilettes. La place très particulière que lui accorde la reine Marie-Antoinette de 1776 à 1792 contribue à asseoir sa renommée à la cour et surtout à l’étranger. Sa célébrité est attestée par les citations trouvées dans nombre de relations et Mémoires sur la vie élégante du temps et les mentions de ses fournitures dans les archives des cours européennes de 1776 à 1808. Tous ces documents s’accordent à juger ses créations supérieures à celles de ses concurrents. Bien que Mlle Bertin ne soit pas la seule marchande de modes mentionnée parmi les fournisseurs de la cour de France, son nom, enjolivé du prénom Rose, diffusé après sa mort par une biographie fictive rejetée par sa famille, a bénéficié dès le XIXe siècle d’une célébrité particulière due pour beaucoup à l’importance accordée à la personne de la reine Marie-Antoinette. C’est probablement en raison de cette préférence royale, des sommes exorbitantes de ses factures, des témoignages et des anecdotes soulignant la personnalité indomptable d’une femme chef d’entreprise, que M.-J. Bertin est devenue l’archétype du fournisseur de modes tyrannique annonçant l’emprise des grands faiseurs du XIXe siècle, Leroy puis Worth, ancêtres de la haute couture parisienne du XXe siècle.
Françoise TÉTART-VITTU