Avant d’éditer un grand magazine culturel, Rose al-Youssef est d’abord une comédienne réputée, puis animatrice d’un salon intellectuel et politique dans l’Égypte de l’entre-deux-guerres. Elle est la seule et unique femme créatrice d’un journal dans le monde arabo-musulman. Les tribulations de son enfance font qu’à 12 ans elle se retrouve, à Alexandrie puis au Caire, dans la famille de l’acteur Iskandar Farah qui lui transmet sa passion du théâtre. Devenue vedette de la troupe Ramsès, elle est acclamée dans le rôle de Marguerite Gautier – La Dame aux camélias –, et hérite du titre de « Sarah Bernhardt* de l’Orient ». Soucieuse de valoriser l’image des femmes artistes – galvaudée dans les journaux du pays –, R. al-Youssef crée en 1925, sous son propre nom, une revue culturelle de large audience, porteuse d’une critique sociale et politique. Poètes, dramaturges, hommes de lettres et critiques d’art écrivent dans Rose al-Youssef pour défendre la culture moderne face aux conservateurs. Elle transforme très vite sa revue en hebdomadaire d’information et clôt sa carrière de comédienne. Dès les années 1930, elle accueille des journalistes politiques et des intellectuels, et se rallie à un groupe de réflexion en faveur de la libération des femmes en Égypte comme dans le monde arabo-musulman. Enrichie de satires illustrées et de caricatures souvent placées sur la première de couverture, la revue garde un rayonnement populaire et contribue à l’évolution de la presse égyptienne dans laquelle elle occupe une place de choix. En 1935, la journaliste lance en vain un quotidien d’information générale, puis reprend la publication de son hebdomadaire. Sa politique éditoriale courageuse développe un nationalisme progressiste et soulève des sujets tabous comme la religion ou la sexualité. Elle associe au magazine une maison d’édition d’ouvrages politiques. En 1956, elle fonde la revue Sabah al-Kheir avec d’autres journalistes et écrivains égyptiens. Son fils, le journaliste et écrivain égyptien Ihsan Abdel-Qouddous, la dirigera pendant plusieurs décennies, de même que la maison d’édition maternelle. Plus de cinquante ans après sa mort, R. al-Youssef demeure une figure légendaire et avant-gardiste de la presse et du théâtre égyptiens et arabo-musulmans. Pionnière et femme moderne, elle fait partie des lettrés égyptiens du début du XXe siècle qui ont œuvré à l’émergence de nouvelles perceptions des femmes, des hommes et des sociétés.
Gloria AWAD