La mère de Sarah Vaughan chante à l’occasion à la petite église locale. Son père, charpentier, joue de la guitare à ses heures perdues. Les souvenirs de la Grande Dépression et de cette population affamée jetée sur le bord des routes hanteront la chanteuse jusqu’à la fin de ses jours et la pousseront à développer ses dons pour le chant et le piano. La jeune Sarah, d’ailleurs, y excelle à tel point qu’elle commence à attirer du monde à l’église. Elle rejoint les chorales religieuses et découvre les grands noms du jazz vocal féminin, comme Ella Fitzgerald*. Discrète, timide, s’animant dès qu’elle parle de sa passion, elle suit des musiciens et joue du piano dans des clubs malgré l’interdiction – l’âge légal restant fixé à 21 ans. Elle s’amuse à ces joutes de chant dans les clubs enfumés de Harlem, comme le Savoy Ballroom. En octobre 1942, elle remporte un concours à l’Apollo. Ella Fitzgerald la repère et la présente au chef d’orchestre Earl Hines, qui n’a pas vu un tel talent depuis bien longtemps et décide de l’engager sur-le-champ. L’orchestre est composé du trompettiste Dizzy Gillespie et du saxophoniste Charlie Parker. « Jouer avec eux aura formé mon éducation », dira-t-elle. La chanteuse ne met pas longtemps à convaincre les grands noms ; elle se sent à l’aise dans tous les styles et joue aussi du piano. Aucune rudesse chez elle, bien au contraire, beaucoup de douceur, d’amitié, de convivialité. Elle ne se soucie que de musique. S. Vaughan succombe à un chanteur de charme des années 1940, Billy Eckstine, plus âgé qu’elle. Ils s’aimeront toute leur vie malgré leurs mariages respectifs et d’incessantes séparations. En 1944, elle enregistre son premier simple, I’ll Wait and Pray, et un autre l’année suivante, Lover Man, puis, en 1949, signe avec la firme Columbia. En 1951, elle fait partie de l’affiche du Carnegie Hall, auprès de Count Basie, Charlie Parker et Billie Holiday*. Toujours liée à Eckstine, elle épouse le trompettiste George Treadwell. Elle chante du be-bop dans les clubs, mais s’en éloigne dès qu’elle franchit les portes du studio : As You Desire Me ; While You Are Gone, en 1949, Pennies from Heaven ; Lullaby of Birdland ; Embraceable You, en 1953 et 1954. En 1958, elle grave le romantique Broken Hearted Melody, premier de ses albums à occuper le sommet du palmarès et à se vendre à des millions d’exemplaires. Ces succès l’exposent à la critique, qui lui reproche de s’éloigner du jazz, de sacrifier le swing aux romances populaires, au commercial, d’imiter Dinah Shore, reine de la guimauve, ou Julie London*. Mais son talent fascine et lui vaut d’être appelée « la Parfaite Chanteuse » ou « la Divine », tant sa voix aux trois octaves, pleine de vibrato, impressionne. Elle connaît quelques périodes creuses, mais revient pendant les années 1970, travaillant avec le chef d’orchestre français Michel Legrand. « Sassy », comme on la surnomme aussi, n’a jamais été remplacée.
Stéphane KOECHLIN