Diplômée en peinture de la Ken School of Art de Bangalore en 1979, Sheela Gowda poursuit ses études dans plusieurs écoles, notamment à la M. S. University de Baroda, où elle suit les cours de l’artiste K. G. Subramanyan (1924), au Royal College of Art de Londres (1984-1986), puis à la Cité internationale des arts à Paris, avant de revenir en Inde, où elle enseigne quelque temps à Mysore. Ses premières œuvres sont essentiellement des peintures à l’huile figuratives. Au début des années 1990, son langage visuel change, de manière décisive : ce bouleversement n’est pas étranger aux questionnements engendrés, chez de nombreux artistes, par les violences consécutives à la destruction d’une mosquée à Ayodhya. Son travail devient moins figuratif ; elle expérimente de nouveaux matériaux, diversifie les supports. Ainsi, l’usage de la bouse de vache devient plus systématique et subversif : plâtre décoratif et combustible, ce matériau est lié à la fois au quotidien des femmes indiennes et au caractère sacré de la vache ; évocateur du quotidien, du rituel ou du religieux, il sert l’œuvre de l’artiste pour son potentiel métaphorique, tout comme le kumkum, pâte de vermillon naturelle qui décore la raie des cheveux des femmes, et avec lequel elle enduit les fils de l’installation And Tell Him of My Pain (« et parle-lui de ma peine », 1998-2001) ; passés dans des aiguilles, ils deviennent des cordes semblables à des lignes agencées dans l’espace. Avec ce « dessin en trois dimensions », variable selon les lieux d’exposition, S. Gowda s’est engagée à limiter les signifiants à l’essentiel pour suggérer le corps féminin, ou plutôt son absence, et créer toute une gamme de sensations, dans une performance intime et difficile. Comme à chaque fois, les matériaux sont choisis pour leur histoire, leur identité et participent d’une réflexion de plus en plus ouvertement politique, comme, par exemple, les containers de l’installation Darkroom (« chambre noire », 2006). Ainsi, derrière la « frugalité » – selon son propre terme – de la représentation, l’œuvre demeure toujours connectée au réel et à l’expérience, laissant place à toute interprétation.
Judith FERLICCHI
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions