De père allemand et de mère suisse allemande, Sophie Taeuber grandit dans un milieu où la culture et l’art imprègnent la vie quotidienne. À Saint Gall, elle apprend le dessin décoratif et les techniques de la broderie et de la dentelle, puis étudie dans les « ateliers expérimentaux » de Hermann Obrist et de Wilhelm von Debschitz, à Munich, où elle se forme à toutes les disciplines artistiques, y compris au travail sur bois et à l’architecture. En 1912-1913, elle apprend également le tissage à l’École des arts décoratifs de Hambourg. À Zurich, en novembre 1915, elle rencontre le peintre et poète Hans (ou Jean) Arp, et s’engage avec lui dans le mouvement dada. Ils se marient en 1922. Sa participation à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes (1925) la conduit à Paris, où le couple, qui obtiendra la nationalité française l’année suivante, côtoie les surréalistes. Leur maison-atelier devient, de 1929 à 1939, un foyer de rencontres artistiques internationales. S. Taeuber-Arp rejoint les associations Cercle et Carré et Abstraction Création. En collaboration avec César Domela, H. Arp et des collectionneurs et mécènes new-yorkais, elle édite la revue multilingue Plastique (1937-1939) jusqu’à la veille de la guerre. Très concernée par l’évolution politique, elle s’efforce ainsi de renouer les liens entre les artistes dispersés. L’exode avec son mari les conduit à Grasse, où ils réalisent, avec Alberto Magnelli et Sonia Delaunay*, des dessins à quatre mains, manifestes de leurs positions antifascistes. Après l’échec de leur projet d’exil aux États-Unis, le couple se réfugie en Suisse en novembre 1942. La mort de S. Taeuber-Arp à Zurich, le 13 janvier 1943, reste une énigme. L’œuvre de cette artiste plurielle se caractérise par la réalisation d’une véritable « synthèse des arts ». Élève de Rudolph von Laban, elle participe, dès 1915, aux recherches sur la danse et sur la notation chorégraphique, à Zurich et au sein de la colonie utopiste de Monte Verità, dans le Tessin. Avec son amie Mary Wigman*, elle introduit la danse dans le mouvement dada, au Cabaret Voltaire de Zurich. Elle aborde la création plastique par son expérience du travail sur textile, tant théorique que pratique. Partant du principe qui régit le tissage – le croisement de la verticale et de l’horizontale –, elle dessine au crayon de couleur des constructions orthogonales. Ses dessins (Composition verticale-horizontale, 1915-1916) sont contemporains des œuvres de Kazimir Malevitch et de Piet Mondrian, reconnues pour avoir introduit l’abstraction géométrique. Pionnière de l’art concret géométrique en Suisse (Composition verticale-horizontale à triangles réciproques, 1918), son langage plastique influence H. Arp, et le couple réalise des œuvres en collaboration, dont la série Duo-collage (1918-1919). Durant les années dada, elle aborde la création tridimensionnelle par le bois tourné peint, en jouant sur la tension entre objet et sculpture avec un récipient bipartite (Coupe dada, 1916). Suivront des sculptures semblables créées avec son époux. L’originalité de ses marionnettes (1918) lui confère la reconnaissance publique. Parmi les Têtes qu’elle réalise en bois tourné peint, elle crée Portrait de Jean [ou Hans] Arp (1918), son autoportrait, Tête (1920), et Tête dada (1920) – véritable « manifeste plastique dadaïste ». À Strasbourg, de 1926 à 1928, elle exécute de grandes peintures murales et des vitraux, et suscite la collaboration de H. Arp et de Theo van Doesburg pour la création du décor intérieur de l’Aubette (1928), surnommé « chapelle Sixtine de la modernité ». Elle développera ensuite de nombreux reliefs et peintures dans cette lignée. Durant les années 1930, anticipant l’art minimal et l’op’art (« optical art »), elle introduit de nouveaux concepts plastiques, avec des séries de peintures comme Compositions à espaces dans lesquelles verticales, horizontales, croix, diagonales et cercles jouent sur l’équilibre (Quatre espaces à croix brisées, 1932) ou Échelonnement (1934). L’artiste s’intéresse aussi à la forme du cercle avec Cercles mouvementés (1934). Les reliefs en bois peint des années 1930, réunifiant peinture et sculpture, constituent l’aboutissement de son œuvre, dont les compositions plastiques tendent vers des constructions spatiales, voire architecturales. Tant en Europe qu’aux Amériques, des artistes seront marqués par cette œuvre construite, qui explore la grille, le module et le sériel, et donne la priorité à l’expérimentation. Par son jeu entre le rationnel et le poétique, S. Taeuber-Arp apparaît comme une « figure lumineuse » dans l’évolution de l’art abstrait.
Gabriele MAHN
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions