Susan Geiger contribue de façon décisive à l’émergence de recherches sur l’histoire des femmes en Afrique subsaharienne. Engagée dès les années 1960 contre l’apartheid et la colonisation, elle se rend en Tanzanie, alors laboratoire actif de politiques et de réflexions révolutionnaires. Après avoir soutenu sa thèse à l’université de Dar es Salam en 1973, elle consacre l’essentiel de ses travaux à l’histoire des femmes de ce pays, tout en enseignant, de 1976 à 1999, à l’université du Minnesota. Son originalité scientifique est à la fois thématique, méthodologique et politique. Du point de vue thématique, S. Geiger place au centre de ses recherches l’histoire des femmes de Tanzanie et étudie notamment le mouvement de lutte nationaliste de la TANU (Tanganyika African Nationalist Union, fondée en 1954), auquel elle consacre un ouvrage majeur, TANU Women : Gender and Culture in the Making of Tanganyikan Nationalism, 1955-1965 (1997). Elle y remet en question l’assertion courante selon laquelle la mobilisation nationaliste reposerait exclusivement sur des élites masculines christianisées, bouleversant l’historiographie classique des nationalismes africains par son analyse de l’implication politique de femmes musulmanes, souvent illettrées. Sa méthodologie ouvre également de nouvelles perspectives : en privilégiant la collecte de sources orales (récits de vie de femmes engagées), elle en montre la richesse et l’intérêt pour mieux comprendre les trajectoires « subalternes » – notamment celles de femmes africaines. Elle expose et défend cette méthodologie proprement féministe dans plusieurs articles : « Women’s Life Histories : Method and Content » (Signs, 1986) ; « What’s so Feminist About Women’s Oral History ? » (Journal of Women’s History, 1990). L’engagement féministe de S. Geiger se retrouve non seulement dans ses productions scientifiques mais également dans l’énergie qu’elle investit dans les départements de l’université où elle enseigne (Department of Women’s Studies, Center for Advanced Feminist Studies, Department of Afro-American and African Studies). Elle forme nombre d’étudiant-e-s qui reprennent le flambeau pour essaimer ensuite dans des universités d’Amérique du Nord et d’Afrique orientale et australe. Elle apprécie enfin le travail collectif, comme le montre sa dernière contribution scientifique, l’édition avec Jean Allman et Nakanyike Musisi de Women in African Colonial Histories (2002).
Anne HUGON