Peintre autodidacte, née de père inconnu et d’une mère blanchisseuse, Suzanne Valadon est une exception par la qualité de son œuvre ainsi que son parcours social et artistique. L’éducation de cette enfant pauvre, confiée à des tiers, est sommaire. Dès l’âge de 11 ans, elle enchaîne les petits emplois à Paris, où elle vit avec sa mère. Après avoir travaillé brièvement dans un cirque, elle devient modèle pour les artistes qu’elle côtoie : Puvis de Chavannes, Renoir, Toulouse-Lautrec, Forain. En 1883, elle donne naissance à un enfant, Maurice, élevé par sa mère, le futur peintre Utrillo, du nom du journaliste qui le reconnaîtra en 1891. Très vite, son fils devient l’un de ses modèles préférés, et elle dessine de multiples scènes familiales. La même année, elle réalise un autoportrait au pastel, première œuvre parvenue jusqu’à nos jours. Ce n’est que vers 1890-1891 qu’elle peint ses premières huiles, mais sa production compte, en majeure partie, des dessins. En 1894, soutenue par le sculpteur Paul-Albert Bartholomé, elle expose cinq dessins au Salon de la Société nationale des beaux-arts. Degas acquiert l’un d’entre eux, puis lui enseigne la gravure en taille-douce sur sa propre presse. En 1896, elle épouse Paul Mousis. Ses dessins et eaux-fortes sont vendus par le galeriste Le Barc de Boutteville, et Ambroise Vollard édite ses gravures. L’artiste demande à son entourage féminin de poser pour elle ; elle s’intéresse aux gestes et mouvements du quotidien, comme le bain, grâce auquel elle peint les corps, la lassitude physique, la tendresse. En 1909, elle demande le divorce et s’installe à Montmartre avec Maurice et son nouveau compagnon, le peintre André Utter. Sa vie prend alors un tournant décisif. Davantage concentrée sur la peinture, elle est inspirée par le corps nu d’A. Utter : Adam et Ève (1909) présente son couple, nu, dans le jardin d’Éden. Elle est ainsi la première artiste à oser le nu masculin, peint de face ; cependant, afin d’exposer ce tableau au Salon d’automne de 1920, elle devra cacher le sexe d’Adam derrière une guirlande de feuilles fantaisiste. Cette toile est, en soi, une déclaration de modernité, voire de révolution dans les mœurs, car l’artiste se donne à voir totalement nue, ainsi que l’homme, objet de son désir. Dans Le Lancement du filet (1914), moins conditionnée par son éducation et son milieu social que la plupart des créatrices de son époque, elle montre la volupté qu’elle ressent face au corps masculin et change le genre du sujet. En 1911, sa première exposition personnelle a lieu chez Clovis Sagot ; elle est suivi par la présentation régulière de ses œuvres aux Salons d’automne, des indépendants, et chez Berthe Weill, qui soutient avec constance les artistes femmes de la modernité. Peu avant la déclaration de guerre de 1914, elle épouse A. Utter. En 1920, consécration de ses pairs : elle est nommée sociétaire du Salon d’automne ; quelques-unes de ses œuvres sont en vente à l’hôtel Drouot. En 1923, Robert Rey publie sa première monographie. La même année, elle se permet de revisiter le thème de l’odalisque, cher à ses confrères masculins, en faisant de la femme allongée, une femme d’âge mûr, moderne, habillée d’un pantalon de pyjama et d’un caraco, en train de fumer, tout à ses pensées, alors que deux livres sont à portée de sa main (La Chambre bleue). En 1929, la galerie Bernier accueille une rétrospective de ses dessins et gravures, complétée d’œuvres récentes. À partir de 1931, probablement en raison de leur grande différence d’âge, sa relation avec A. Utter se dégrade ; elle se peint alors nue et vieillissante dans Autoportrait aux seins nus (1931), toile innovante dans sa représentation du corps tel qu’il est, sans complaisance, mais aussi sans arrière-pensée morale sur un grand âge honteux ou larmoyant. Son travail est montré un peu partout, en Europe et outre-Atlantique. À partir de 1933, il lui devient plus difficile de peindre, elle se cantonne donc au dessin. À la demande du groupe des Femmes artistes modernes, elle est régulièrement présente à leur salon. En 1937, l’État achète plusieurs de ses œuvres, faisant du modèle autodidacte l’égale des peintres pour lesquels elle avait si longtemps posé. Elle meurt l’année suivante.
Catherine GONNARD
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions