Tatiana Trouvé a grandi à Dakar, au Sénégal. Après des études artistiques aux Pays-Bas et à la Villa Arson à Nice, elle est lauréate du prix Marcel-Duchamp en 2007. Sa démarche relève de la sculpture, de l’installation, mais le dessin et le son jouent également un rôle primordial dans son travail protéiforme. En 1997, elle donne un titre générique à l’ensemble de ses œuvres : le Bai (Bureau d’activités implicites), qui se compose de différents Modules, des installations d’abord à échelle humaine puis miniature, chacune dédiée à une des activités de l’artiste, qu’elles soient concrètes ou liées à son processus de création (archive, reproduction, écriture, administration, attente, grève, déplacement, lapsus, réminiscence, ses échecs, ses aspirations). Depuis les années 2000, elle développe également des maquettes de « lieux implicites » dénommés Polders, qui sont une extension de ses Modules. Ces sculptures, posées à même le sol ou fixées au mur, se distinguent de ces derniers par une échelle réduite, correspondant à la taille d’un enfant. Son œuvre reste marquée par l’esthétique administrative (bureaux, salles d’attente), mais aussi par l’univers du sport et de la musique. Ces installations hybrides constituent une manière de labyrinthe inextricable, qui renvoie aussi bien à la biographie de l’artiste qu’à une vision du monde hantée par la question de la mémoire. « Si la réalité ne prend forme qu’avec la mémoire, si le présent n’est que du passé qui passe, alors les œuvres se constituent aussi à partir du moment où elles quittent notre champ de vision », explique-t-elle. Son ambition est de donner une forme non illustrative à cet espace/temps de la mémoire. Après l’abandon du Bai, T. Trouvé cherche à matérialiser, grâce à des sculptures et à des séries de dessins comme Remanence (2008-2010), des espaces intermédiaires qu’elle nomme les « intermondes », composés de roches, de cuivre, d’acier déformé, de verrous ou d’éléments extraits du quotidien, dont des cadres de lits tortueux ou des matelas. À l’image d’un monde parallèle, une atmosphère kafkaïenne, anxiogène et inquiétante émane de cette démarche prospectrice, où le spectateur voyage à travers les tubes métalliques ou vitres de verre qui construisent l’espace. Depuis quelques années, son travail s’attache aussi à explorer les lieux d’exposition des musées et leurs qualités propres, par le biais d’installations qui dissèquent les composants de l’espace « visible », via des matériaux précieusement choisis et travaillés, comme des tubes ou, pour A Stay Between Enclosure and Space (« un arrêt entre l’enclos et l’espace », 2010), des champs magnétiques construits in situ : dès lors, T. Trouvé révèle, à partir de l’espace muséal, un espace mental. « Le travail que j’engage sur l’espace, dans mes installations, est déterminé par la création de lois physiques différentes de celles qui traversent et constituent notre réalité. J’imagine des secteurs magnétiques ou des densités atmosphériques singulières, des vitesses qui, à leur tour, sculpteraient les formes, tantôt en contredisant les lois de la gravité, en aspirant les matières et les objets vers le plafond, en les déformant ou en les compressant, mais aussi en les figeant dans des mouvements de chute ou d’équilibre », dit-elle.
Bernard MARCADÉ
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions