Figure d’exception avec
Madeleine Guilbert* dans un milieu essentiellement masculin – toutes deux sont qualifiées de « premières en sociologie » –, Viviane Isambert-Jamati considère le travail comme la matrice des faits sociaux. Parallèlement à ses études de philosophie, elle devient agente de liaison du réseau Périclès en 1943 et se voit décerner la médaille de la Résistance en 1945. Elle fait partie du Conseil national des organisations de jeunesse et du Conseil national des femmes. Diplômée de philosophie à la Sorbonne en 1947, elle entre au Centre d’études sociologiques (CES) du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et commence ses travaux de recherche sous la direction de Georges Friedmann, fondateur de la sociologie du travail en France. Dans le contexte de reconstruction et de modernisation de la société française d’après-guerre, elle participe à l’édification de cette sociologie. Elle mène ainsi, dans une usine horlogère, une étude fondée sur l’observation
in situ des postes de travail et sur des entretiens auprès des ouvriers et des syndicats. Bien que les femmes soient les plus nombreuses à la chaîne, elle ne prend pas encore en compte la division du travail par sexe. Elle réalise ensuite, avec M. Guilbert, une enquête sur le travail des femmes à domicile. Elles y soulignent le redoublement de la domination sociale de cette catégorie de femmes, chargées dans un même lieu des tâches familiales et professionnelles. Sensibilisée à la condition ouvrière par son expérience dans la Résistance, influencée par la théorie marxiste des classes sociales, acquise à la démarche empirique qui s’élabore en sociologie, V. Isambert-Jamati souligne la faiblesse de la conscience ouvrière de ces femmes, due à leur situation sociale. Sa conversion à la sociologie de l’éducation au début des années 1960 s’explique par « la première explosion scolaire » et par une forte tradition familiale. Le célèbre ouvrage de son grand-oncle E. Goblot,
La Barrière et le Niveau, l’a marquée avant même son entrée en sociologie. En 1969, le caractère exemplaire de sa thèse de doctorat (« Crises de la société, crises de l’enseignement ») – dans laquelle elle analyse le corpus de discours tenus lors du rite de la distribution des prix –, lui vaut de figurer dans le manuel de référence
Méthodes de la sociologie (R. Boudon et P. Lazarsfeld, 1966). Elle quitte ensuite le CNRS et commence une carrière à l’université Paris 5 en sciences de l’éducation. À partir du milieu des années 1970, elle infléchit sensiblement ses perspectives de recherche, car elle est quotidiennement confrontée aux problèmes que rencontrent ses étudiants dans leur pratique de l’enseignement et à leurs questions sur les contenus des supports pédagogiques, sur les pratiques et sur les réformes ou expérimentations du moment. Alors que les analyses structurelles et structuralistes sont de rigueur dans les années 1960-1970, V. Isambert-Jamati met en place une approche socio-historique inspirée de
L’Évolution pédagogique en France d’Émile Durkheim (1938), assez vite combinée à la sociologie des curricula, importée des pays anglo-saxons. Mais à la différence des sociologues anglais et américains – considérant le curriculum comme une sorte de relais des relations de pouvoir qui lui sont extérieures –, elle s’applique à faire une sociologie critique de la pédagogie, qu’elle considère comme une sphère d’activités autonome. Ses très nombreux étudiants – notamment ceux originaires de différents pays d’Europe, d’Afrique du Nord, d’Amérique latine et du Moyen-Orient – transmettent aujourd’hui dans leur propre pratique la démarche critique sur leurs systèmes d’enseignement, qu’ils ont acquise en soutenant leur thèse auprès d’elle.
Lucie TANGUY