Née sous la dynastie des Song du Sud au sein d’une famille modeste, Yan Rui reçoit pourtant une bonne éducation dès son enfance. Mais à l’âge de 14 ou 15 ans, vendue par son beau-père qui voulait subvenir aux besoins familiaux, elle est réduite à la prostitution dans un camp militaire de la circonscription de Taizhou. Douée pour le jeu d’échecs, la musique, la danse, le chant, la calligraphie et la peinture, elle possède aussi une vaste culture livresque. Ses poèmes à chanter jouissent d’une grande réputation dans le pays et attirent de nombreux admirateurs qui viennent de loin pour l’écouter. En 1182, le préfet de Taizhou, Tang Zhongyou, l’aide à sortir de ce milieu inférieur et à rejoindre enfin sa mère dans son pays natal. La même année, Zhu Xi, un haut fonctionnaire, connu pour ses convictions confucéennes et vexé par la divergence d’opinions du préfet, accuse la poétesse d’outrage aux mœurs et l’emprisonne en lui infligeant d’atroces tortures, mais Yan Rui préfère mourir plutôt que de se rendre. Sa sincérité et sa fidélité bouleversent tout le pays, jusqu’à l’empereur lui-même. Elle est ensuite libérée et devient la concubine d’un membre de la famille de l’empereur Song Zhaozong. Parmi ses nombreuses créations poétiques ne subsistent que trois poèmes traditionnels à chanter, mentionnés par l’histoire et probablement publiés vers le début du XIIe siècle : « Ru meng ling » (« comme dans un rêve ») ; « Que qiao xian » (« féérie sur le pont de la pie ») et « Bu suan zi » (« se fier à la divination »). Le premier est composé lors d’une rencontre avec Tang Zhongyou, qui l’invite à improviser des vers sur le thème des fleurs de pêcher en train d’éclore ; la jeune femme recourt à l’image des fleurs pour rendre compte de la sienne propre : vivre dans un monde méprisé, mais garder un cœur pur et digne d’admiration. Le deuxième, imaginé à la demande d’un des amis du préfet à l’occasion de la fête des Amoureux (Qing jie), exprime le doute et la désespérance de l’auteure à propos de l’amour. Le troisième poème est en fait une réponse adressée à l’inspecteur Yue Lin, qui l’a relaxée et l’interroge sur ses intentions : elle déclare qu’elle déplore son destin et souhaite quitter ce monde de souffrance pour mener une vie simple et ordinaire, en pleine nature. À travers cet aveu et grâce à son style d’écriture aussi gracieux qu’allusif, dénué d’arrogance et de platitude, elle gagne non seulement la sympathie de celui qui l’écoute mais aussi le respect et l’admiration de ses lecteurs, toutes générations confondues.
WANG XIAOXIA