C’est à Athènes, en 2004, que Yelena Isinbayeva, distançant de 16 centimètres sa compatriote russe Svetlana Feofanova, non seulement s’assure la médaille d’or olympique mais porte le record mondial à 4,91 m. Le saut à la perche vertical n’est ouvert aux femmes que depuis les années 1990, un large siècle après les débuts de la pratique masculine. En 1995, une ancienne gymnaste tchécoslovaque, Eva Bártová, puis jusqu’en 1998 l’Australienne Emma George, qui a franchi 4,57 m, ont donné à cette nouvelle spécialité féminine une crédibilité. La Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) a accepté de l’incorporer aux Championnats du monde en 1999.
Après avoir fait de la gymnastique et pensé un temps s’orienter vers la gymnastique rythmique et sportive (GRS), Y. Isinbayeva (1,70 m) a été conduite par l’entraîneur Evgueni Trofimov au titre de championne du monde juniors en 2000, à son premier record en juillet 2003 (4,82 m) et au titre olympique ; puis aux performances de 2005 : les 5 mètres franchis au Crystal Palace de Londres le 22 juillet et le titre mondial, assorti le 12 août, devant le public enthousiaste d’Helsinki, d’un énième record, 5,01 m. Bénéficiant des avis éclairés de l’Ukrainien Sergeï Bubka, « tsar » des perchistes de 1983 à 1997, dont la carrière l’inspire, Y. Isinbayeva choisit, comme lui, de n’améliorer ses records mondiaux qu’un centimètre après l’autre, ce qui lui permet à chaque fois de toucher une prime substantielle des organisateurs. Elle devient à son tour la « tsarine », commençant souvent ses concours à une hauteur qu’aucune de ses concurrentes n’a pu atteindre. N’hésitant pas à se remettre en question pour progresser encore, elle décide de changer d’entraîneur : ce sera Vitaly Petrov, celui-là même qui suivit S. Bubka dès l’âge de 14 ans. Il lui propose de nombreux changements dans sa préparation et sa manière d’aborder les barres et lui annonce que plusieurs mois sinon plusieurs saisons seront nécessaires pour qu’elle assimile et tire tous les profits de ces modifications. Elle accepte, mais ne cède pas sur l’essentiel : gagner. Avec un saut, pour elle modeste, de 4,80 m, elle est championne d’Europe en 2006 à Göteborg et championne du monde en 2007 à Osaka. Malgré son dixième record en salle le 16 février à Donetsk, avec 4,95 m, le début de l’année olympique 2008 semble incertain. L’été la revoit en pleine lumière. Elle reprend sa marche en avant le 11 juillet au meeting de Rome, 5,03 m ; puis à Monaco le 29 juillet, 5,04 m. Le 18 août à Pékin, elle est pour la deuxième fois championne olympique, améliore pour la vingt-quatrième fois (en plein air et en salle) le record mondial haussé à 5,05 m, et laisse à 25 centimètres derrière elle l’Américaine Jennifer Stuczynski, médaillée d’argent. Est-ce le sommet de sa trajectoire ? Si en février 2009, à Donetsk, elle est la première à franchir les 5 mètres en salle, les Championnats du monde en août à Berlin sont un échec retentissant : trois sauts manqués d’entrée de jeu et la dernière place. Elle se ressaisit onze jours plus tard à Zurich avec 5,06 m ; puis remporte, après celle de 2007, sa deuxième Golden League. Mais en mars 2010, lors des Mondiaux en salle (Doha), elle n’atteint pas le podium (quatrième place) ; bientôt, elle annonce une pause « indéterminée », qui durera onze mois. Elle revient alors vers E. Trofimov, son premier entraîneur, et de Formia (Italie) vers sa ville natale ; ses performances restent inégales. En 2012, année olympique, elle remporte un titre mondial en salle à 4,80 m et une médaille de bronze aux Jeux de Londres (4,70 m). Le temps de sa domination sans partage semble alors révolu, ce qui ne l’empêche pas, dès l’année suivante, de s’imposer aux championnats du monde de Moscou, devançant l’américaine Jennifer Suhr et la cubaine Yarisley Silva, qui l’avaient privée de l’or olympique.
Écartée des Jeux olympiques de 2016 comme de nombreux athlètes russes, elle annonce sa retraite et intègre la commission des athlètes du Comité Olympique International, ainsi que l’Agence russe AntiDopage, dès l’année suivante.
Jean DURRY