Le yin (féminin) symbolise l’ubac d’une montagne, la rive sud d’une rivière, la réception, la passivité, l’obscurité, la lune, la terre, tandis que le yang (masculin) désigne l’adret d’une montagne, la rive nord d’une rivière, le don, l’activité, la clarté, le soleil, le ciel. Ces deux pôles sont soumis à un mode d’alternance sans que l’un domine totalement l’autre. L’apogée de l’un implique toujours l’émergence de l’autre. Ce principe s’applique aussi bien au macro-cosmos qu’au micro-cosmos. La perfection n’est possible qu’avec l’union de ces deux énergies complémentaires que sont le yin et le yang. En même temps, le Livre des mutations (Yijing) précise que le Ciel est noble et que la Terre est humble. « La voie du mouvement cyclique céleste, dit le Grand Commentaire (Xici) de ce classique des classiques, forme le masculin et la voie du mouvement cyclique terrestre, le féminin. » Dès lors, l’homme et la femme se trouvent dans une structure hiérarchisée, alors qu’ils se différenciaient plutôt par les caractéristiques spatiales, l’un occupant l’espace extérieur (chasse, guerre, labour) et l’autre, l’espace intérieur (culture des mûriers, tissage).
On associe souvent la position des femmes chinoises à une phrase attribuée à Confucius (551-479 av. J.-C.) : « Les femmes et les gens médiocres sont les moins faciles à traiter : de trop près, ils se croient tout permis ; de trop loin, ils vous en gardent rancune. » Mais on ne sait pas dans quel contexte Confucius émit une telle opinion. En effet, les fréquentations entre hommes et femmes étaient relativement libres du temps de Confucius, ce dont témoigne le Livre des odes (Shijing) où l’expression des sentiments d’un sexe envers l’autre est directe, sans détour. Alors que le classique Livre de la voie et de la vertu (Daode jing), attribué à Lao Tseu, fondateur du taoïsme philosophique, fait l’éloge de la « femellitude », les textes qui deviendront, sous les Han (206 av. J.-C.-220), classiques confucéens, insistent, il est vrai, sur la soumission des femmes. Selon les Mémoires sur les rites (Liji), la soumission d’une femme est triple : « Enfant, elle dépend du père ou du frère aîné. Une fois mariée, elle dépend du mari. À la mort de celui-ci, elle dépend du fils. » À l’époque des Han où le confucianisme fut hissé au rang d’orthodoxie étatique, s’opéra un premier tournant des relations entre hommes et femmes, devenues plus rigides. Les manuels de morale à l’usage des femmes prirent alors naissance. L’exemple le plus illustre est la parution des Préceptes pour les femmes (Nüjie) de Ban Zhao*, qui termina la rédaction de l’Histoire des Han (Hanshu), laissée inachevée après la mort de son frère Ban Gu (32-92). Le Nüjie de Ban Zhao légitime la soumission des femmes aux hommes et proscrit le remariage des veuves. Mais ces principes étaient loin d’être respectés dans la réalité et les remariages des femmes étaient fréquents, des Han jusqu’au début des Song (960-1279). Le deuxième tournant se situe au XIe siècle. Malgré l’importance de la communauté des nonnes en Chine, le bouddhisme n’accorde à la femme qu’une place secondaire. Bien avant l’introduction du bouddhisme, Mencius prédisait que « ne pas avoir de descendance (wu hou) est le plus grand manquement à la piété filiale ». Les penseurs des Song tels que Zhou Dunyi (1010-1073), Cheng Hao (1032-1085), son frère Cheng Yi (1033-1107) et Zhang Zai (1020-1087) qui centraient leurs réflexions sur la culture de soi et la critique du bouddhisme se situaient dans un mouvement du renouveau confucéen et s’orientaient vers un rigorisme moral envers les femmes. Cheng Yi, dont l’école deviendra la plus influente grâce à Zhu Xi (1130-1200), qui fera la synthèse du néoconfucianisme, dit que « mourir de faim est insignifiant » mais que, pour les femmes pauvres ou veuves, « perdre la fidélité conjugale est une affaire importante ». Or la doctrine de Cheng Yi, qui n’encourageait pas non plus le remariage des hommes, et de Zhu Xi ne devint l’orthodoxie qu’à partir des Yuan (1279-1368). Le rapport entre la misogynie et le néoconfucianisme est à relativiser tout comme l’importance que le taoïsme semble accorder à la femme et au féminin mérite d’être nuancée.
Différentes voix se sont élevées au profit des femmes. L’écrivain Gui Youguang (1506-1571), originaire de Jiading dans l’actuel Shanghai, dans l’Œuvre de Gui Youguang (Zhenchuan ji), s’oppose à ce que la fiancée doive garder sa virginité si le fiancé décède. Kang Youwei (1858-1927), l’un des derniers héritiers du confucianisme, à la fois réformiste et royaliste de la fin de l’empire, fait un pas décisif dans l’histoire des femmes dans son Livre complet sur les principes réels et les lois publiques (Shili gongfa quanshu) en s’inspirant des jugements de divorces à Paris vers 1891. Pour lui, le mariage doit être fondé sur un contrat qui ne peut s’établir qu’entre deux individus. Le divorce doit être autorisé pour des raisons diverses. Kang qui demandera à l’empereur l’abolition du bandage des pieds des femmes justifie ce dernier point par la possible altération du sentiment amoureux.
Frédéric WANG