Issue d’une famille aisée de Tokyo qui émigre en 1952 à New York, Yōko Ono étudie la poésie, la musique et la composition au Sarah Lawrence College. Elle rencontre Edgar Varèse, Morton Feldman et John Cage dès la fin des années 1950, et pénètre le monde de l’avant-garde musicale avec son premier mari, Toshi Ichiyanagi, un jeune compositeur japonais. Au début des années 1960, leur loft de Chambers Street devient le théâtre de nombreuses performances artistiques et de concerts avec La Monte Young, John Cage et George Maciunas. Elle participe activement au mouvement Fluxus, créé en 1961, une communauté internationale fluctuante et éclectique d’artistes, revendiquant l’esprit du jeu, l’imposture, le hasard, un art éphémère et non reproductible dans le temps, qui soit une affirmation de la vie. L’artiste conjugue cette démarche avec les conceptions théâtrales d’Antonin Artaud, la philosophie du bouddhisme zen et les actions du mouvement japonais Gutaï. Ainsi, dès ses premières performances comme Cut Piece en 1964, elle invite les spectateurs à venir découper ses vêtements jusqu’à la mettre à nu, tel un véritable « théâtre de la cruauté », qui transforme le spectateur en protagoniste de la représentation théâtrale. Elle écrit aussi des « scripts de films », qui interrogent la nature du médium cinématographique, et où elle propose de distribuer des ciseaux au public afin qu’il découpe sur l’écran ses morceaux préférés du film. Elle réalise ensuite des Fluxfilms, série de films courts, rassemblés par G. Maciunas en une œuvre collective, dès 1966. Ses œuvres filmiques s’inscrivent dans l’esthétique antispectaculaire de Fluxus, avec des plans-séquences étirés lors de la projection au moyen d’un extrême ralenti qui s’apparente à la captation d’un mouvement, d’un fragment de vie – tel le clignement d’un œil dans Eye Blink (« clin d’œil ») –, auxquels elle confère monumentalité et intemporalité. À l’occasion de son exposition Unfinished Paintings and Objects organisée à Londres en 1966, elle rencontre John Lennon, dont elle devient la muse. Le 15 juin 1968, ils réalisent Acorn Event, leur premier happening commun : renonçant à toute idée de démesure et de spectaculaire, ils créent une sculpture en gestation, en plantant deux glands de chêne, l’un orienté vers l’est, l’autre vers l’ouest, exprimant l’union de l’Orient et de l’Occident, leur désir de paix entre les deux hémisphères et la nécessité d’une prise de conscience écologique. Ils composent nombre d’œuvres et de titres à quatre mains, dont Revolution 9 inclus dans The White Album en 1968, avant la création de leur groupe, le Plastic Ono Band, l’année suivante. Les performances vocales de Y. Ono, qui traduisent la schizophrénie culturelle qui la marque depuis son enfance, tiraillée entre Orient et Occident, révèlent aussi l’importance qu’elle accorde au corps comme instrument primordial, vecteur d’émotions musicales revendiquant l’héritage du kabuki. En novembre 1968 sort l’album Unfinished Music No 1 : Two Virgins, avec sa fameuse pochette sur laquelle le couple pose nu ; censurée alors que la révolution sexuelle bat son plein, cette photographie illustre la force contestataire du corps mis à nu, dans le contexte du mouvement hippie et des avant-gardes des années 1960. Après son mariage à Gibraltar en 1969, le couple organise une lune de miel en forme d’événement public consacré à la paix, le Bed-In for Peace, en pleine guerre du Vietnam, faisant résonner l’hymne pacifiste, Give Peace a Chance. Tout en s’inscrivant dans la tradition de la résistance passive, Y. Ono met en avant toute la dimension conceptuelle de ce qui apparaît comme une performance questionnant les notions d’identité et d’intimité, d’espace et de temps. À la fin de l’année 1969, le couple lance une campagne publicitaire internationale en faveur de la paix dans 12 villes du monde – War Is Over (If You Want It). Happy Christmas from John and Yoko –, suivie par l’invention d’une nation vivant selon les modèles établis dans la chanson Imagine : ainsi, le 1er avril 1973, il fonde Nutopia, « un pays conceptuel n’ayant ni territoire, ni frontière ni passeport, seulement un peuple ; un pays qui appartient à tout le monde ». Si l’assassinat de J. Lennon en 1980 interrompt leur fécond dialogue artistique et musical, Y. Ono s’impose désormais comme une artiste pop accomplie avec les albums Walking on Thin Ice en 1980 et Season of Glass en 1981. Elle continue de développer son œuvre plastique, toujours animée par son engagement pour la paix, et qui est célébrée dans les musées du monde entier, notamment lors de sa rétrospective Yes Yoko Ono au Japon et en Amérique du Nord, en 2000. Elle reçoit en 2009 le Lion d’or de la Biennale de Venise. Elle participe en 2018 au film L'Île aux chiens de Wes Anderson, qui remporte l'Ours d'Argent du Meilleur Réalisateur à la Berlinale 2018.
Emma LAVIGNE