Née de parents algériens immigrés, Zineb Sedira suit des études d’art graphique en France, puis poursuit sa formation à Londres, à la Central Saint Martins College of Art and Design et au Royal College of Art, entre autres. Artiste multimédia, elle s’intéresse à l’expression de l’intime, du personnel, du biographique, intégrée dans une problématique multiculturelle. Elle confronte ainsi les images usuelles occidentales et les rituels arabes : la vidéo A Scream for Liberation (1995) consiste en un gros plan unique sur la bouche d’une femme, dont le cri rappelle le « youyou » ; tradition orale chez les femmes du Maghreb et du Moyen-Orient, ces longs cris très aigus et modulés sont utilisés pour exprimer leurs émotions lors de cérémonies (naissances, mariages, mais aussi décès), ou bien comme alertes, véritables appels de résistance pendant la guerre en Algérie. En 1996, le film Autobiographical Patterns montre la main de l’artiste, sur laquelle elle écrit frénétiquement en français, en arabe et en anglais son histoire personnelle, depuis sa naissance en France jusqu’à son installation à Londres. Cette superposition de différents textes et de calligraphies multiples symbolise son identité plurielle et la confusion identitaire qu’elle peut engendrer. Z. Sedira pratique également la photographie : dans le triptyque Self Portraits or the Virgin Mary (2000), elle se met en scène, vêtue d’un haïk blanc, long voile traditionnel algérien, devant un fond blanc. Cette superposition de tons clairs illumine le sujet comme une représentation de la Vierge Marie. L’artiste aborde de la sorte l’opposition supposée entre l’imaginaire religieux chrétien et musulman. L’année 2002 marque un tournant dans son œuvre, alors qu’elle retourne en Algérie après plus de dix ans d’absence. Ce voyage, dont elle tire une série de photographies de paysages, l’amène à proposer un travail plus universel. La même année, elle réalise Mother Tongue (« langue maternelle »), un ensemble de trois vidéos diffusées simultanément : sur la première, l’artiste dialogue en français avec sa mère qui lui répond en arabe ; sur la deuxième, elle parle en français à sa fille qui lui répond en anglais ; la dernière vidéo montre enfin la communication impossible entre la petite-fille et la grand-mère, puisqu’elles n’ont plus de langue commune. Cette œuvre explore ainsi les différences entre les générations, et comment l’intégration dans une société se produit au détriment de sa propre généalogie. Dans la même perspective, Z. Sedira part de son histoire personnelle pour élargir sa réflexion vers l’histoire qui lie la France à l’Algérie, avec la vidéo Mother, Father and I (2003), dans laquelle ses parents relatent leur parcours respectif. En 2005, à travers une vidéo de voyage et de rencontres, And the Road Goes on… (2005), elle dresse un portrait de l’Algérie contemporaine, sortant d’une guerre civile. À partir de la vidéo Saphir (2006), elle s’oriente vers une mise en scène plus cinématographique, en portant une attention particulière à l’image, ce qui contraste avec les œuvres précédentes, plus expérimentales et dépouillées. Saphir a pour sujet l’hôtel Es-Safir, inauguré en 1930 à Alger, et ses alentours. Filmées au bord de la mer, près du port, les deux vidéos composant l’installation évoquent le départ et la migration vers l’Europe, à travers les déambulations d’un homme dans la ville et l’hôtel. Dans un style contemplatif – la mise en scène se compose principalement de panoramiques et de ralentis –, Saphir se veut avant tout un rêve urbain universel. Dans MiddleSea (2008), le même personnage, dans une posture d’attente, arpente le pont d’un ferry, vide, reliant Alger à Marseille. Dans cette vidéo rythmée par le bruit des vagues et les sons émanant du bateau, c’est bien la langueur du trajet, le voyage chargé d’espérances et de promesses, qui sont retranscrits, les points de départ et d’arrivée n’ayant finalement que peu d’importance. Floating Coffins (« cercueils flottants », 2009) peut être considéré comme le troisième volet de ce triptyque, où la mer établit un lien entre chaque œuvre ; d’abord échappatoire puis frontière, elle devient prison. L’installation est constituée de 14 écrans aux formats différents et de huit haut-parleurs. Les vidéos ont été tournées à Nouadhibou en Mauritanie, dans une réserve d’oiseaux migrateurs qui est aussi le lieu de passage des migrants subsahariens clandestins tentant de rejoindre l’Europe, malgré le danger que représente la traversée. Le site est aussi connu pour son cimetière de bateaux.
Priscilla MARQUES
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions