Son expérience poétique constitue un point d’ancrage pour toutes les poétesses qui lui ont succédé en Tunisie, où Zubeïda Bchîr fait figure de pionnière dans le champ de la poésie féminine contemporaine. Autodidacte, elle apprend le Coran, la grammaire arabe et s’initie à la poésie arabe classique. Elle manifeste très tôt une prédilection pour cet art, malgré la désapprobation de son père. Après l’installation de sa famille à Tunis, Z. Bchîr fait entendre sa voix de jeune créatrice en participant à des émissions littéraires radiophoniques sous le pseudonyme de Lamia. Son premier essai poétique Nihâyatu qalb (« trépas d’un cœur ») est diffusé en 1953. À la radio tunisienne, son premier programme s’intitule Murâdifât (« synonymes ») et une autre de ses émissions, Liqa al-ahiba (« la rencontre des amis »), connaît un grand succès. C’est en 1968 que Z. Bchîr est confirmée dans sa vocation poétique avec la publication de son recueil, Hanîn (« nostalgie »), qui exprime la souffrance liée à l’expérience de l’amour fatal à travers la transparence et la fluidité d’un vocabulaire simple et limpide, puisant la plupart de ses images dans le vécu. Cette réussite n’était pas sans susciter certaines controverses au sujet de l’authenticité poétique de ce premier recueil : Z. Bchîr doit s’éclipser. Durant trente ans, elle va se taire et n’émerger qu’en 2002 avec la publication de son deuxième recueil, Ấlā (« grâces »). Si le ton mélancolique persiste, on remarque le recours à un discours métaphysique qui se réfugie dans la bonté divine et puise en elle toute la force nécessaire pour affronter la cruauté de la destinée personnelle. L’écriture poétique s’achemine vers l’approche d’un salut qui assure à l’âme d’atteindre, malgré toutes les souffrances endurées, la paix avec soi et avec les autres. Cette stratégie salutaire devient pour la poétesse une nouvelle forme de renaissance avec Tâir al‑fînîq (« l’oiseau Phénix »). Elle déclare s’identifier désormais à cette créature mythique qui finit toujours par renaître de ses cendres.
Jalila TRITAR
