Née dans une famille de « litvaks » (juifs assimilés venus de Russie et de Lituanie), Zuzanna Ginczanka passe son enfance à Równe Wołyńskie, un petit village multiethnique de l’est de la Pologne (aujourd’hui en Ukraine), où sa mère et sa grand-mère communiquent en russe. Elle choisit néanmoins d’apprendre le polonais à l’école et se passionne pour la poésie des grands romantiques polonais. En 1935, elle s’installe à Varsovie et décide de se consacrer à la poésie.
Surnommée « l’Étoile de Sion » en raison de sa beauté sémite qui évoque le personnage de la Sulamite dans le Cantique des Cantiques, elle aime à entretenir ce mythe de la « belle Juive ». Elle collabore entre autres à la revue satirique Szpilki (« les épingles ») et crée des émissions de radio. Ses débuts poétiques sont très bien reçus, qu’il s’agisse de son recueil O Centaurach (« les centaures », 1936), ou du poème « Gramatyka » (« la grammaire »). Novateurs et audacieux, ses textes sur la passion amoureuse et charnelle témoignent de sa forte personnalité et de son incontestable don artistique. La créatrice est surtout connue pour son poème « Non omnis moriar » (« je ne mourrai pas tout entier »), écrit juste avant sa mort et heureusement sauvé. Il rend compte de la barbarie nazie et de la vie nomade que l’écrivaine doit mener pour sauver sa vie. Dénoncée, elle sera assassinée par les nazis à l’âge de 27 ans. Ce poème, dont le titre reprend un vers d’Horace, est une allusion ironique au poème d’un célèbre romantique polonais, Juliusz Słowacki, « Testament mój » (« mon testament »). Avec violence, Z. Ginczanka y accuse la civilisation polonaise et même européenne de ne pas avoir tenu ses promesses humanistes et fédératrices autour d’une même culture. Trahie, condamnée à être l’Autre, elle fait ses adieux à un monde auquel elle a naïvement cru, en abandonnant ses illusions et ses « choses juives » à ceux qui vont s’en saisir après sa mort. Expression forte d’un drame individuel, ce poème condense des questions propres aux drames de l’histoire et en particulier à la catastrophe juive.
Agnieszka GRUDZIŃSKA