Ayant vécu en Belgique puis à Sète, Agnès Varda étudie à Paris la photographie à l’École de Vaugirard et devient photographe au Théâtre national populaire de Jean Vilar de 1951 à 1961. Sans aucune connaissance technique, sans même être cinéphile, elle réalise son premier film en 1954, La Pointe courte, l’histoire d’un couple en décomposition à laquelle se mêle la chronique d’un quartier de pêcheurs de Sète. Alain Resnais en assure le montage. Un coup d’essai réussi ; le film est accueilli par les critiques comme une bouffée d’air frais et gagne le Grand Prix du film d’avant-garde de Paris. Cela vaut à son auteure d’être surnommée « la grand-mère de la Nouvelle Vague », ce qu’elle réfute, ne se sentant faire partie d’aucun collectif. Elle crée bientôt sa société de production, Ciné-Tamaris, qui lui permet de s’établir en « artisane » et de créer en totale liberté. Tout en s’adonnant au court-métrage, qu’elle affectionne tout particulièrement parce qu’il permet à la pulsion créatrice de se matérialiser plus rapidement, elle réalise des longs-métrages qui sont autant de terrains d’expérimentation. Elle fait feu de tout bois : une commande sur les châteaux de la Loire (Ô saisons, ô châteaux, 1957) ou la Côte d’Azur (Du côté de la Côte, 1958), des photographies prises lors d’un voyage à Cuba (Salut les Cubains, 1963), un oncle retrouvé par hasard à San Francisco (Oncle Yanco, 1967). Elle possède le don de tout transformer en cinéma, de jongler avec les formats, les genres et les conventions, la réalité et la fiction fusionnent par la grâce d’une subjectivité ludique ; car A. Varda, c’est un regard unique, espiègle et généreux. Toujours curieuse de l’autre, elle célèbre la rencontre sous toutes ses formes au sein de « documents subjectifs » (selon sa propre formule), tels L’Opéra-Mouffe (1958, carnet de notes d’une grossesse dans le quartier Mouffetard) ; Daguerréotypes (1975, « filmographie des [ses] voisins », sélectionné pour l’Oscar du meilleur documentaire) ; ou encore Cléo de 5 à 7 (1961, prix Méliès), long-métrage sur l’errance parisienne poétique et angoissée d’une chanteuse qui attend les résultats d’une analyse médicale ‒ la forme est novatrice (on suit en temps réel la journée et les pensées de Cléo) et les thèmes (la mort, le tabou du cancer, la guerre d’Algérie), courageux ; le film deviendra culte. Après Le Bonheur, autre film audacieux bardé de prix (1964, prix Delluc, Ours d’argent à Berlin), A. Varda suit son compagnon Jacques Demy (rencontré en 1958) à Los Angeles où elle fréquente Warhol et sa bande. Elle y réalise deux films témoins de cette époque (Black Panthers, 1968 ; Lions Love, 1969). Dans les années qui suivent, temps fort de la lutte pour les droits des femmes, elle dirige Réponses de femmes (1975) et L’une chante l’autre pas (1976) qui s’en font l’écho avec un humour roboratif. Les œuvres de cette cinéaste moderne épousent et éclairent leur époque tandis que sa propre pratique artistique évolue au gré des changements techniques et sociaux. Elle reçoit en 1985 le Lion d’or à Venise pour Sans toit ni loi, reconstitution des derniers jours tragiques d’une jeune vagabonde (Sandrine Bonnaire*) à travers les témoignages des gens qui ont croisé sa route ; point d’orgue de son art, c’est à ce jour son plus grand succès. Après deux films gigognes avec/sur Jane Birkin* (dont Jane B. par Agnès V., 1987) et trois autres en hommage à Demy (dont Jacquot de Nantes, 1991), elle fait prendre à sa carrière un nouveau tournant en 1999. Accueillant les nouvelles technologies avec bonheur, voyant en sa petite caméra numérique un moyen d’être toujours au plus près de ses sujets, elle réalise une œuvre très personnelle qui touche un grand nombre de spectateurs : Les Glaneurs et la Glaneuse (2000). Creusant toujours le sillon social selon sa méthode d’enquête documentaire et son goût pour la narration « coq-à-l’âne », elle va à la rencontre de personnes qui luttent avec humour et ingéniosité contre la précarité. En 2008, elle réalise Les Plages d’Agnès, un autoportrait qui revient sur son œuvre et sa vie, qui lui vaut le César du meilleur film documentaire. Devenue plasticienne, elle décline par ailleurs son univers dans des installations, dont L’Île et Elle, accueillie par la fondation Cartier pour l’art contemporain en 2006, ou encore Les Cabanes d’Agnès exposée à la Biennale d’art contemporain de Lyon en 2009. Créatrice mondialement reconnue, elle a reçu une multitude de prix et de distinctions, dont le prix René-Clair de l’Académie française qui récompense l’ensemble de son œuvre en 2002, ou encore le Carrosse d’or (remis par la Société des réalisateurs de films) lors du Festival de Cannes 2010 ; parmi les plus prestigieux, la Palme d’honneur, qu’elle est la première femme à recevoir en 2015 à Cannes, et l'Oscar d'honneur, qui lui est attribué en 2017. En 2018, son dernier film Visages Villages réalisé avec JR est en lice pour l’Oscar du « Meilleur documentaire ». En janvier 2019, deux mois avant sa disparition, la Cinémathèque offre au public parisien une rétrospective de tous les films de cette pionnière du cinéma français.
Jennifer HAVE