« Des femmes dessinent, imaginent, racontent. Des femmes parlent de 77, 78, du sexe et des petites filles, de la France cruelle, de l’homosexualité, bref des tabous et des contraintes qui nous étouffent. » Tel était le slogan inscrit en couverture du second et dernier recueil de ce magazine singulier, organisé par des auteures femmes pour des lectrices femmes. Dirigé par Janic Guillerez, femme de Jean-Pierre Dionnet, l’un des fondateurs de Métal hurlant, Ah ! Nana offrait à la fois des bandes dessinées, des articles et des dossiers sur des sujets percutants pour l’époque, et qui s’inscrivaient dans l’intention de ne plus « devoir assumer les phantasmes masculins déguisés en règle d’or de la presse » (éditorial du numéro 1). À la croisée de comics books américains (It ain’t me, babe comix, Wimmen’s comix… ) et de revues littéraires françaises (Sorcières), Ah ! Nana exprimait des préoccupations liées à la condition féminine et les créations dessinées étaient apparentées aux discours féministes que les mouvements naissants soulevaient alors. Les Françaises Florence Cestac*, Olivia Clavel, Nicole Claveloux*, Aline Issermann*, Keleck, Chantal Montellier* et Marie-Noëlle Pichard, les Américaines Shary Flenniken, Trina Robbins* et Sharon Rudhal, l’Italienne Cecilia Capuana ont ainsi évoqué dans leur récits les violences faites aux femmes, le plaisir au féminin, le choix de leur orientation sexuelle, la prostitution. F. Cestac y a réalisé ses premières bandes dessinées, C. Montellier y a imaginé Andy Gang, un flic de la brigade antigang, macho sûr de lui et grand spécialiste de la bavure. « L’expérience d’Ah ! Nana a constitué une aventure hors du commun », selon l’historienne Blanche Delaborde, une aventure « révélatrice de son époque, et en particulier des rapports de pouvoir entre hommes et femmes dans un milieu masculin tel que celui de la bande dessinée ». Mais ce trimestriel eut une vie éphémère avec neuf numéros, d’octobre 1976 à septembre 1978. L’arrêt fut aussi bien assené par la maison d’édition (Les Humanoïdes Associés), qui fit le choix de continuer à publier Métal hurlant exclusivement, que par la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à la jeunesse, cette dernière infligeant à Ah ! Nana une interdiction aux mineurs de moins de 18 ans à la suite de la sortie du numéro 8, consacré à l’homosexualité et à la transsexualité.
Christian MARMONNIER