Les premiers Amérindiens à publier aux États-Unis, à la fin du XVIIIe siècle, sont dans leur immense majorité des Indiens convertis à une forme ou une autre du christianisme, envoyés comme missionnaires auprès de leur tribu d’origine pour répandre la religion dans leur langue et selon leurs critères culturels propres. Ces missionnaires étant tous des hommes, on ne trouve aucune femme parmi les tout premiers auteurs recensés à ce jour, et, jusqu’à récemment, les spécialistes s’étaient de toute façon surtout consacrés aux publications d’auteurs masculins, soit parce que leurs noms revenaient plus souvent dans les témoignages des Blancs, par un aveuglement que l’on n’a aucun mal à imaginer, soit par idéologie assumée. Mais depuis une trentaine d’années, l’ensemble du domaine a considérablement évolué, et ce pour trois raisons. D’abord, dès le début du XIXe siècle ont commencé à paraître des textes de femmes de types très variés : poèmes, récits de vie, récits traditionnels (adaptés au lectorat, à peu près uniquement d’origine européenne) ; ensuite, les écrivains contemporains sont surtout des femmes ; enfin, au fil des recherches récentes, des auteurs féminins anciens, longtemps négligés, ont été « retrouvés » et leurs textes publiés et analysés. Ainsi, des femmes peu connues ou demeurées dans l’ombre de leur conjoint (Jane Johnston Schoolcraft est un cas d’école), ou encore restées au second plan – alors que devenait célèbre l’ethnographe qui avait recueilli leurs récits – sont désormais publiées et étudiées, les choses allant assez vite depuis le début du XXIe siècle, au point qu’il est impossible de donner de ce champ une image qui ne sera pas bientôt dépassée.
Comme dans le cas des hommes, beaucoup de textes féminins anciens sont des autobiographies recueillies par des anthropologues, souvent partielles, voire lacunaires – réponses à des questions précises, plus ou moins heureusement raccordées pour donner l’illusion d’un tout organique, mais de fait centrées sur tel ou tel aspect de la culture orale ou matérielle. On doit cependant considérer à part la situation des Cherokee : ils ont très tôt adapté l’alphabet latin à leur propre langue, publié des journaux, et parallèlement été scolarisés en anglais avant l’ensemble des Amérindiens. Il est donc logique que l’on trouve chez eux davantage d’écrivains anciens que dans d’autres tribus. Parmi les femmes cherokee écrivant au début du XIXe siècle, Catherine Brown (vers 1800-1823), convertie au christianisme, à laquelle les critiques commencent à s’intéresser. Les plus prolifiques des auteurs, toutefois, ne sont pas forcément cherokee. Parmi les plus célèbres, Pauline Johnson* est mohawk, Sarah Winnemucca (1841-1914) paiute, Jane Johnston Schoolcraft (1800-1842) ojibwé, Zitkala-Ša* lakota.
Beaucoup de ces femmes sont des oratrices qui jouissent d’une grande renommée à leur époque. Si les voyages de S. Winnemucca à Washington et ses discours émouvants sont bien connus, comme le sont ceux, enflammés, de P. Johnson, on en sait généralement peu sur Laura Cornelius Kellogg (Oneida, 1880-1947) ou Susette La Flesche (Omaha, 1854-1903). Cette dernière, dont le nom traditionnel est Bright Eyes, se passionne, comme son frère Francis (le premier anthropologue amérindien), pour les traditions de son peuple. Militante très active, elle est très respectée, écoutée, et côtoie des célébrités comme William Jennings Bryan, Helen Hunt Jackson* ou le poète Henry Longfellow. L’art oratoire était un des plus prisés dans les sociétés traditionnelles amérindiennes, si bien qu’une maîtrise de « la belle langue », des images et métaphores était considérée comme l’un des plus grands accomplissements possibles. Les femmes n’étaient donc pas seulement créatrices anonymes d’objets aux splendides décorations (tipis, mocassins, vêtements, et autres objets de la vie courante), mais pouvaient aussi égaler – voire surpasser – les hommes les plus renommés dans cet art oratoire qui a tant frappé les premiers observateurs blancs.
Au XIXe siècle, des Blancs (écrivains, poètes, anthropologues) commencent à recueillir auprès des femmes des informations factuelles, des contes traditionnels et des récits de vie, et jouent un rôle essentiel dans ce processus de transmission. Pour autant, raconter sa vie à un anthropologue n’exclut pas toute activité créatrice : souvent, c’est même le contraire, ces femmes s’efforçant de transposer de façon crédible, séduisante ou étonnante ce qui, pour elles, va de soi. S’adapter à un public aux conceptions du monde totalement différentes est un tour de force. L’intermédiaire joue un rôle capital, mais la finesse et la capacité de ces femmes autochtones à naviguer entre plusieurs mondes ne doivent jamais être sous-estimées.
Par ailleurs, si les collecteurs sont très rarement amérindiens, on rencontre des exceptions, telle l’écrivain lakota Ella Cara Deloria*, élève de l’anthropologue Franz Boas. Avec Speaking of Indians (« à propos des Indiens », 1944), qui vise à montrer la pérennité de la culture lakota malgré la sédentarisation dans des réserves, elle avait su mettre à la portée du grand public une somme considérable de savoir. Dans Waterlily, son unique roman (achevé en 1944, publié en 1988), elle dépeint le monde et la vie des Lakota au XIXe siècle. La littérature naît du travail de l’anthropologue et le rend accessible à un public étendu. La langue est pure et précise ; le déroulement des péripéties rend compte d’une perception du temps différente de celle du lectorat blanc.
Dès le milieu du XIXe siècle, les genres se diversifient. Apparaissent les autobiographies écrites sans l’intervention d’une « plume » blanche ou masculine, les nouvelles, les livres pour la jeunesse, les romans, dont certains romans d’aventures, comme Cogewea, The Half-Blood (1927), de Mourning Dove (Okanogan-Colville, 1888-1936), aussi connue sous les noms de Humishima et Christine Quintasket. Paraissent également des discours et écrits politiques, tels ceux de S. Winnemucca, et des fictions à caractère politique, comme Wynema (1891) d’Alice Callahan (Creek, 1868-1894). D’ailleurs, bien des artistes amérindiennes sont des militantes politiques, travaillent dans les domaines liés à la santé, à l’éducation et à la protection de l’environnement, et défendent les droits des autochtones en général. Il s’agit, comme le souligne A. LaVonne Brown Ruoff, de demander « justice pour les femmes et pour les Indiens ».
Les Amérindiennes sont aujourd’hui nombreuses sur la scène artistique et dans le domaine de la littérature en particulier. Winona LaDuke (Anishinaabe, 1959) est romancière et femme politique, Nora Naranjo-Morse (Santa Clara, 1953) est poétesse, sculptrice et artiste vidéo. Beaucoup sont principalement poétesses : Wendy Rose (Hopi-Miwok, 1948), Nila NorthSun (Shoshone-Chippewa, 1951), Carol Lee Sanchez (Laguna-Sioux, 1934), Rita Joe (Micmac, 1932-2007), Kimberly Blaeser (Anishinaabe, 1955), Chrystos (Menominee, 1946), Luci Tapahonso (Navajo, 1953), Janice Gould (Maidu, 1949), Ofelia Zepeda (Tohono O’odham, 1952), Gail Tremblay (Onondaga-Micmac, 1945), Beth Brant (Mohawk, 1941), Laura Tohe (Navajo, 1952), Allison Adelle Hedge Coke (Huron-Cherokee, 1958) ou Joy Harjo (Muskogee, 1951), également musicienne.
D’autres encore écrivent tour à tour poésie, essais et fiction : Mary TallMountain (Athapascan, 1918-1997), Gloria Bird (Spokane, 1951), Elizabeth Cook-Lynn (Dakota, 1930), Paula Gunn Allen (Laguna-Sioux, 1939-2008), Anna Lee Walters (Otoe-Pawnee, 1946), Leslie Marmon Silko*, LeAnne Howe (Choctaw, 1951), Maria Campbell*, Jeannette Armstrong*, Linda Hogan (Chickasaw, 1947), Elizabeth Woody (Navajo, 1959), Janet Campbell Hale (Cœur d’Alene, 1946), Roberta Hill (Oneida, 1947), Lee Maracle (Metis, 1950), Diane Glancy (Cherokee, 1941), Susan Power (Sioux de Standing Rock, 1961), Debra Magpie Earling (Salish-Kootenai, 1957) ; sans oublier la très célèbre romancière et remarquable styliste Louise Erdrich*.
Simone PELLERIN