Âgée de 16 ans à la fin de la guerre, Christa Wolf est devenue l’une des principales auteures de la RDA et de toute l’Allemagne. Après des études d’allemand, elle fut collaboratrice de l’Union des écrivains allemands puis rédactrice de la revue Neue Deutsche Literatur (NDL). Son récit Le Ciel partagé (1963) traite d’une histoire d’amour que la construction du mur transforme en conflit insoluble entre le désir individuel du bonheur et les exigences politiques. La différenciation psychologique des personnages est la clé du détachement de l’auteure par rapport aux doctrines du réalisme socialiste. Elle accompagne son processus d’écriture de réflexions intenses, qui aboutiront, outre un recueil volumineux d’essais, discours et entretiens (Die Dimension des Autors, 1987), à une littérature autoréflexive, liant sur le plan formel les aspects documentaires à la subjectivité. Avec son roman Christa T. (1968), elle se détache définitivement des directives politiques. Ce récit à perspectives multiples correspond à l’idée de « l’authenticité subjective » qu’elle a développée. L’expérience subjective de l’auteure confrontée à son matériau succède à l’idée du réalisme tout en posant le problème du rapport entre individu et société, sans oublier la réflexion sur le processus du travail dans l’écriture. Cette nouvelle manière d’écrire trouve son expression dans une redécouverte du romantisme initiée par Anna Seghers* (entre autres Aucun lieu, nulle part, 1979). Ses réflexions sur le romantisme lui servent à s’explorer elle-même et en tant qu’écrivaine. En 1976 paraît Trame d’enfance, roman qui entreprend une quête dans le temps, en enfreignant le mythe de l’origine antifasciste de la RDA. Si la mort de l’écrivaine Brigitte Reimann et celle d’Ingeborg Bachmann* sont insérées dans Trame d’enfance, dans Scènes d’été (1976-1989) des amitiés sont célébrées sous forme d’élégie. La mort (celle de Maxie Wander) ou le départ de la RDA de maints amis (dont Sarah Kirsch*) sont à l’origine de son livre le plus personnel. Les amies réelles, les prédécesseurs historiques – auteures ou personnages littéraires –, les personnages féminins de ses propres textes deviennent la clé de voûte de son autoréflexion littéraire. La découverte de personnages féminins mythologiques fait avancer l’innovation littéraire, car l’échec de ces femmes sert de reflet historique, littéraire et psychologique. La prophétesse Cassandre (1983) incarne un contre-projet à la rationalité masculine identifiée à la guerre et à la destruction. La multitude de voix qui émanent de Médée (1996) formulent la critique de la société patriarcale et font de ce texte un point culminant de l’œuvre. Lors de la chute du mur, C. Wolf, très sceptique face à la réunification, lutte pour le maintien d’une RDA démocratique. La publication, en 1990, du récit écrit en 1979 Ce qui reste, dans lequel elle relate de façon autobiographique sa surveillance par le Service de sécurité, déclenche un débat passionné. Sa réaction littéraire à ces expériences douloureuses est Adieu aux fantômes (1994) et Ici même, autre part (1999). Dans Le Corps même (2002), son seul texte en prose depuis, l’écroulement physique de la protagoniste, tel un courant de conscience lucide et rêveur, devient la métaphore de l’effondrement de la RDA. Ainsi l’œuvre de C. Wolf demeure jusqu’à présent indissociable de l’histoire des deux Allemagnes et gagne de ce fait – au-delà de son originalité littéraire – une importance capitale. En octobre 2010, C. Wolf reçoit le prix Thomas-Mann pour l’ensemble de son œuvre.
Wiebke VON BERNSTORFF