Reine de l’autoportrait photographique, Claude Cahun est aussi poète, essayiste, critique, traductrice, comédienne et activiste politique. Obsédée par les thèmes de l’identité et de la représentation de soi, elle utilise tous les moyens d’expression. Oubliée après la Seconde Guerre mondiale, redécouverte et largement diffusée dans les années 1990, son œuvre trouve, depuis, un écho considérable qui dépasse l’histoire de la photographie, puisqu’elle suscite par exemple l’intérêt des Gender Studies (« études de genre ») et des théoriciens du postmodernisme, pour ses jeux de travestissement autour de l’autoportrait. Elle est aussi, avec Lee Miller* et Dora Maar*, l’une des grandes photographes surréalistes. Lucy Schwob – elle a adopté son pseudonyme en 1917 – est la nièce de l’écrivain Marcel Schwob, auteur des Vies imaginaires (1896). Issue de la grande bourgeoisie intellectuelle, elle est éduquée en Angleterre. Vers 1915, elle coupe ses cheveux très courts et se photographie elle-même, sur fond neutre, en se travestissant tantôt en marin ou en sportif, tantôt en dandy avec un costume d’homme. Son amie d’enfance Suzanne Malherbe (alias Marcel Moore) devient sa compagne en même temps que son assistante. Le couple s’installe à Paris au début des années 1920. C. Cahun écrit alors des articles et des nouvelles dans Le Mercure de France et publie, en 1919, Vues et visions, recueil de poèmes en prose d’inspiration symboliste, illustrée par sa compagne. Marquée par la philosophie nietzschéenne et la littérature décadente, elle part, à travers l’écriture et la photographie, à la découverte de l’autre elle-même. Ce sont surtout ses nombreux autoportraits qui sont connus, pour la façon dont ils jouent avec l’ambivalence sexuelle en reprenant les grands thèmes lesbiens (androgynie, féminité outrancière et dandysme). C’est toute la mythologie personnelle de l’artiste qui émerge lorsqu’elle se représente en Vierge, en monstre, en fée, en poupée ou en garçonne au regard dur. Pendant près de quarante ans, elle multiplie les images d’elle-même pour atteindre ce qu’elle appelle l’« indéfinition » sexuelle, le « neutre ». Techniquement, elle utilise souvent la double exposition (Que me veux-tu ? , autoportrait double, 1928). Dédoublements, symétries, jeux de miroirs montrent la dualité de l’être dans les portraits qu’elle fait de sa compagne ou de ses amis Sylvia Beach* ou Robert Desnos. En 1929, elle rejoint le Plateau, laboratoire théâtral animé par Pierre Albert-Birot, où elle réalise des mises en scène baroques. Se rapprochant peu à peu des surréalistes, elle signe jusqu’à la guerre la plupart de leurs déclarations collectives. En 1934, elle publie un essai polémique contre la politique culturelle du Parti communiste français, Les Paris sont ouverts, qui vise Louis Aragon en particulier, puis elle participe avec André Breton et Georges Bataille à la fondation du mouvement de lutte révolutionnaire indépendant Contre-Attaque en 1935. Aveux non avenus (1930), son ouvrage le plus célèbre, est un important recueil autobiographique élaboré sur plus de dix ans, qui rassemble récits de rêves, poèmes et aphorismes, illustrés de remarquables photomontages. Ces collages, obtenus avec la collaboration de S. Malherbe, utilisent un matériel hétéroclite, en particulier ses anciens autoportraits. Certaines planches de ce livre expérimental d’une grande richesse formelle mêlent distorsions, jeux de miroirs, superpositions et surexpositions. On retrouve la valorisation de l’imaginaire et le vacillement du réel dans ses « tableaux » photographiques, véritables théâtres miniatures faits d’objets et de personnages, proches de La Poupée (1934-1939) de Hans Bellmer. L’artiste illustre aussi avec des photos de ses installations le recueil de poèmes Le Cœur de pic de Lise Deharme* en 1937. En 1939, elle s’exile avec sa compagne sur l’île de Jersey : toutes deux composent des photomontages politiques inspirés par ceux de l’Allemand John Heartfield. Résistante et juive, C. Cahun est arrêtée et condamnée à mort en 1944, mais échappe de peu à l’exécution. Bon nombre de ses clichés, les « meilleurs » selon elle, sont détruits par la Gestapo. Redécouverte par François Leperlier, son œuvre éclectique ne commence à être largement diffusée que dans les années 1990. Depuis, de nombreux ouvrages sont publiés dans le sillage des rétrospectives de Londres, de Tokyo, de Munich ou de Paris – dont celle notamment du Jeu de Paume, en 2011.
Anne REVERSEAU
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions