La fonction de costumière n’identifie pas un métier originellement féminin. Bérain père et fils au XVIIe siècle, Boquet au XVIIIe siècle ont illustré une activité dont des dessins et des estampes gardent la trace brillante. Des descriptions précises ont été transmises par les inventaires après décès, comme ceux de Molière ou d’Adrienne Lecouvreur*, la garde-robe d’un acteur, d’une actrice, d’une cantatrice étant un bien qui se transmet ou se cède jusqu’à une date avancée. Elle devient objet patrimonial conservé dans des collections ou proposé dans des ventes à grande diffusion. Deux domaines, celui de la peinture et celui de la haute couture, ont accompagné l’émergence féminine dans la réalisation des costumes de scène au début du XXe siècle.
Décoratrice des Ballets russes, Natalia Gontcharova* a apporté sa palette de couleurs et la richesse du folklore dans des costumes qui font encore rêver, inspiration que l’on retrouve chez Nina Brodsky (1892-1977), Sonia Delaunay*, Alexandra Exter*, exploitant les souvenirs des traditions populaires de leur pays natal pour décorer un répertoire que la France et l’Occident découvrent avec étonnement et enthousiasme. D’autres femmes peintres s’imposent progressivement dans la conception des costumes : Marie Laurencin*, en intégrant sa peinture dans le tableau scénique, Valentine Hugo* avec des costumes peints en trompe-l’œil, Lila De Nobili (1916-2002) et ses évanescentes compositions de tulle, Léonor Fini *dans un surréalisme raffiné, Suzanne Lalique (1892-1989) en restituant un classicisme épuré, Titina Mazelli (1924-2005) chez Bernard Sobel ; la plupart d’entre elles signent les costumes dans leurs décors, tant la scénographie est une à leurs yeux. Se dégagent de cette ligne des costumières comme la comédienne Marie-Hélène Dasté (1902-1994), influencée par le Nô japonais, attachée au symbolisme des couleurs ; elle travaille initialement pour son père Jacques Copeau, dont l’esthétique scénique se fixe sur des éléments libérant l’aire de jeu, avant de faire des costumes pour Gaston Baty puis pour Jean-Louis Barrault. Dans le prolongement de cette démarche du Cartel, Louis Jouvet commande des costumes à Jeanne Dubouchet, Charles Dullin à Valentine Hugo, Gaston Baty à Olga Choumansky (1896-1973).
Le métier de costumièr(e) connaît une autonomie grandissante dans le music-hall et l’opérette que Jenny Carré (1902-1945) met à profit dans l’entre-deux-guerres, mais aussi Rosine Delamare (1911-2013), Suzanne Reymond (1910-1999), dans le théâtre dramatique ou lyrique, ou encore Yvonne Sassinot de Nesle (1937), qui travaille aussi pour le cinéma, comme Dominique Borg (Molière 1997), ou Minne Barral Vergez à la tête d’ateliers travaillant pour le théâtre comme pour le cinéma. Très tôt, la haute-couture s’est intéressée au théâtre et a affiché de grandes signatures féminines qui habillent les actrices à la scène et à la ville, Gabrielle Chanel *qui travaille pour Cocteau chez Dullin, Maggy Rouff (1896-1971), couturière des sociétaires de la Comédie-Française dont Annie Ducaux*. Carven*, spécialiste des silhouettes menues, habille Madeleine Renaud*. Madeleine Grey (1896-1979), costumière à ses débuts, signe les drapés des tragédiennes et des tragédiens des années 1950-1960. Sylvie Poulet, pour Robert Hossein, Donate Marchand, pour le mime Marceau, font de poétiques interprétations de costumes de style.
La relève de ces décennies est assurée par des costumières qui furent assistantes des unes et des autres, comme Claudie Gastine (1942), formée par L. De Nobili, ou qui revendiquent la fonction de réalisatrice de costumes, telles Geneviève Sevin-Doering à partir des esquisses de Jacques Le Marchand ou les sœurs Karinska pour celles d’André Barsacq, ou encore Mme Gromtseff, réalisant les costumes d’Erté. D’autres conceptrices développent en parallèle des carrières d’interprètes, en particulier dans le domaine de la danse ; c’est le cas de Nyota Inyoka, de la Argentina*, ou d’Espanita Cortez (1921)…
Certaines costumières sont particulièrement attachées à des équipes de metteurs en scène, ainsi Alyette Samazeuilh à Jean Vilar et à Hubert Gignoux dans la décennie 1950-1960, Françoise Tournafond (? -2011) à Ariane Mnouchkine* (l’atelier du théâtre du Soleil reste essentiellement féminin) et à Jean-Claude Penchenat, Claude Lemaire* à Antoine Vitez à l’époque de la série des Molière.
Les costumières sont toujours très présentes dans les génériques de spectacle : Elizabeth de Sauverzac, Florence Evrard, ancienne assistante d’André Acquart, Chantal Thomas (1959)…
Depuis que le Molière du créateur de costumes est institué, plusieurs femmes ont été couronnées, notamment : Nicole Galerne pour Légendes de la forêt viennoise (1993) et Mademoiselle Else (1999) ; Chloé Obolensky (1942) pour Peines de cœur d’une chatte française (2000) d’après la nouvelle de P. J. Stahl ; Pascale Bordet (1959) pour Le Dindon (2002) ; Victoria Chaplin-Thierrée* pour la Symphonie du Hanneton (2006) ; Julie Taymor* pour le Roi Lion (2008) ; Claire Risterucci pour Madame de Sade (2009)…
Noëlle GUIBERT