Née dans une famille aisée de l’élite new-yorkaise, Diane Arbus prend ses premières photographies au début des années 1940. Mariée à 18 ans au photographe Allan Arbus, elle travaille avec lui comme photographe de mode, pour les magazines Glamour ou Vogue. Après la Seconde Guerre mondiale, elle se sépare de son époux, s’installe avec ses deux filles et poursuit sa collaboration comme photographe indépendante avec les magazines Harper’s Bazaar, Show, Glamour, Esquire, The New York Times. Élève de Berenice Abbott* et d’Alexey Brodovitch, directeur artistique de Harper’s Bazaar, de 1955 à 1957, à la New School à New York, elle étudie également avec Marvin Israel et Richard Avedon. Vers 1956, sa rencontre avec Lisette Model*, auprès de laquelle elle se forme pendant deux ans, est décisive. Toutes deux adoptent le moyen format, et chacune accorde une grande importance à son sujet, souvent des marginaux. L. Model encouragea D. Arbus à se concentrer sur les photographies d’individus. Ses premiers travaux sont réalisés grâce à un appareil photo 35 millimètres. Dans le courant des années 1960, elle adopte un Rolleiflex twin-lens offrant un format carré et une haute définition d’image lui permettant une attention plus grande aux détails (Jumelles identiques, 1967). Elle utilise le flash même à la lumière du jour, mettant en avant le sujet par rapport à l’arrière-plan. Fascinée par les personnages hors normes et les phénomènes de foire, D. Arbus cherche à photographier la singularité de chacun de ses modèles. Le traitement, fait d’empathie et de distance critique, est identique pour tous (Géant photographié chez lui avec ses parents dans le Bronx, 1970). Dans les années 1950 et 1960, des foules de Coney Island aux promeneurs de Central Park, ses photographies donnent à voir une certaine vision de l’Amérique. Elle devient une des actrices les plus marquantes de la street photography, mais elle se montre plus attentive à la figure. Ses clichés forment une anthropologie contemporaine : classe moyenne américaine, portraits de couple, enfants, performeurs de carnavals, nudistes, ou bien encore travestis (Jeune homme aux bigoudis chez lui, 1966). Elle explore de nouveaux sujets envisagés dans une intimité jusque-là ignorée. Par un certain angle de vue, comme le portrait frontal brut et contemplatif (Garçon avec un chapeau de paille participant à une manifestation en faveur de la guerre, 1967) ou la mise en valeur d’accessoires, la part d’étrangeté des individus considérés comme « normaux » est soulignée et, en même temps, elle s’interroge sur la façon de faire atteindre l’universel à ses clichés particuliers. Tous ses modèles apparaissent comme des allégories de l’Amérique d’après-guerre. En 1959, elle commence à tenir des carnets, ce qu’elle fera jusqu’à sa mort. Au cours de cette période, elle inaugure une série des clichés pris dans les cirques, qui ouvre un nouveau champ pour toute une génération de photographes. L’homme tatoué, la femme avalant des épées, tous sont traités de front et avec un certain respect. Le Petit garçon à la grenade dans Central Park, New York (1962), est peut-être une de ses photographies les plus emblématiques. Un rictus traverse le visage de l’enfant qui tient dans sa main un jouet. Le contraste entre l’innocence souvent prêtée à l’enfant et son expression maniaque accentue l’effet d’étrangeté de l’image, par ailleurs d’une facture simple et efficace. D. Arbus obtient deux fois la bourse du Guggenheim, en 1963 et en 1966 pour son projet « American Rites, Manners, and Customs », qui documente le rôle des croyances et des rituels dans le quotidien : parade de Thanksgiving, festival de San Gennaro, Halloween. À la même époque, elle acquiert une certaine indépendance professionnelle, et commence à faire quelques séries de portraits. Elle est exposée au MoMA en 1964, puis en 1967 à l’occasion de l’exposition New Documents, qui marque la reconsidération du statut de la photographie. La même année, elle devient la première photographe américaine exposée à la Biennale de Venise. Femme masquée dans une chaise roulante (1970) est symbolique de ses derniers travaux dans des résidences pour personnes handicapées mentales entre 1969 et 1971. En 1970, elle réalise un portfolio de tirages originaux intitulé Une boîte de 10 photographies. D. Arbus se suicide à 48 ans en 1971. Publiée par Aperture, elle est découverte par un large public qu’elle marque de façon décisive et définitive.
Sixtine DE SAINT-LÉGER