Apparus dans les années 1960, les dissidents de Russie dénoncent les violations des droits humains en URSS et les persécutions des individus qui souhaitent exercer ces droits. Trois principes priment pour eux : le respect absolu des lois soviétiques et des pactes internationaux, la non-violence et la transparence. Des femmes jouent un rôle capital dans ce mouvement. Souvent, elles sont, ou ont été, les épouses de dissidents, mais elles s’engagent à part égale. Certaines affrontent la pleine lumière et, par leur personnalité, s’imposent comme des modèles ; d’autres s’investissent, de façon plus discrète, dans l’aide aux prisonniers et à la diffusion du samizdat.
Dès la fin de 1963, deux femmes de lettres – Anna Akhmatova* et Lydia Tchoukovskaïa* – se mobilisent pour défendre le poète Joseph Brodsky. Lorsque le jeune homme est jugé en 1964, la journaliste Frida Vigdorova* prend en notes ce procès qui est censé effrayer la jeunesse et l’intelligentsia. Son sténogramme, sans commentaires ni interprétations imposées, inaugure un genre qui caractérisera la dissidence : celui des exposés exclusivement factuels. À partir de 1965, des femmes font partie de ceux qui signent des pétitions ou manifestent pour dénoncer la réhabilitation du stalinisme, refuser les nouveaux procès politiques et exiger la poursuite des réformes. La linguiste Larissa Bogoraz est particulièrement active, et pas seulement lorsque son ex-mari, le poète Iouli Daniel, est jugé en 1966. Le 11 janvier 1968, elle lance, avec Pavel Litvinov, un appel à l’opinion publique mondiale qui met chaque individu en face de la nécessité de faire un choix éthique. En avril 1968, Natalia Gorbanevskaïa* crée la principale revue de la dissidence de Russie Khronika tekouchtchikh sobytiï (« la chronique des événements en cours »). Le 25 août 1968, elle manifeste sur la place Rouge contre l’écrasement du printemps de Prague, avec L. Bogoraz et cinq ou six autres personnes. En mai 1969, elle, Tatiana Velikanova et Tatiana Khodorovitch sont parmi les quinze membres du premier groupe soviétique de défense des droits humains.
T. Velikanova, l’une des personnalités les plus respectées de la dissidence, prend rapidement en charge la préparation et la diffusion de la Khronika tekouchtchikh sobytiï et est aidée, entre autres, par Irina Iakir et par Vera Lachkova. En 1977, la linguiste T. Khodorovitch déclare assumer la responsabilité du fonds Soljenitsyne d’aide aux prisonniers politiques, avec Malva Landa qui est membre du Groupe pour l’aide à l’application des accords d’Helsinki en URSS. Créé en mai 1976, ce groupe, essentiel dans la dissidence, compte deux femmes parmi ses neuf membres fondateurs : l’historienne Lioudmila Alexeïeva, et le médecin Elena Bonner*, qui partage la vie d’Andreï Sakharov et le suivra en relégation à Gorki. Deux avocates aident les dissidents à se défendre, tant bien que mal : Dina Kaminskaïa et Sofia Kalistratova, par ailleurs membre du Groupe d’Helsinki.
Les femmes sont également très nombreuses parmi les Juifs qui demandent le droit d’émigrer et sont persécutés pour cela : Ida Noudel, Maria Slepak, entre autres. D’autres – Irina Kaploun, Irina Grivnina… – s’engagent contre l’utilisation de la psychiatrie à des fins répressives. Certaines soutiennent le SMOT, un syndicat indépendant, créé en 1978. Tatiana Chtchipkova, enseignante de français, est l’une des figures centrales du Séminaire chrétien qui naît dans la seconde moitié des années 1970 et regroupe essentiellement des jeunes aspirant à une réflexion philosophique, religieuse et éthique.
Les femmes sont très actives aussi dans les revues du samizdat, issues de ces différents combats. Bella Palatnik, Nina Voronel et Emilia Sotnikova participent à Evrei v SSSR (« Juifs en URSS »), la principale revue juive du samizdat. Zoïa Krakhmalnikova, brillante journaliste, crée la revue Nadejda (« espérance »), consacrée à la pratique et à la pensée orthodoxes. La poétesse Tatyana Mamonova, athée, et la philosophe Tatiana Goritcheva, membre du Séminaire chrétien, imaginent une revue, Jenchtchina i Rossiia (« la femme et la Russie »), qui expose les problèmes spécifiques des femmes soviétiques et se veut à la croisée du mouvement pour les droits humains, de la renaissance religieuse et d’un féminisme très différent de ce qu’il est en Occident. Cette revue propose, en effet, la Vierge Marie comme idéal et est assez vite remplacée par une autre, précisément intitulée Maria.
La plupart de ces dissidentes sont arrêtées, envoyées en relégation, détenues dans des camps, des prisons ou des hôpitaux psychiatriques, voire contraintes d’émigrer. Toutes s’inscrivent dans une tradition : celle de ces femmes qui, à travers l’histoire et la littérature russes prérévolutionnaires, incarnent le courage, la droiture et le dévouement. Certaines continuent ou ont repris le combat. Désormais surnommée babouchka (« la grand-mère »), L. Alexeïeva, 85 ans, est ainsi l’un des symboles de l’opposition actuelle.
Cécile VAISSIÉ