À la fin des années 1970, Élisabeth Ballet entre à l’École nationale supérieure des beaux-arts, et, grâce, dit-elle, au livre de Jack Kerouac qui dépasse de sa poche, elle est retenue par Isabelle Waldberg*, l’une des seules professeures d’une institution dont il s’agira de désapprendre l’enseignement. Pensionnaire à la villa Médicis, elle apprend à « conceptualiser ». Ses sculptures en plaques de carton défient la monumentalité des architectures de pierre. « La question n’est pas de pénétrer au sein de mes constructions, car dedans il n’y a rien », précise-t-elle. L’artiste expose à la Biennale de Venise (1986) et opère un tournant en 1990 à la Galerie des Archives (Paris) : l’exposition Face-à-main propose de ressentir physiquement l’œuvre, comme un obstacle, de façon frontale, ou comme une « ceinture », en la reliant méthodiquement, des murs vers le centre de la salle (Deux bords, 1993). Ses travaux se fondent ainsi sur l’inaccessibilité, enfermant parfois une portion du sol (Sugar Hiccup, 1996), tandis que d’autres font du déplacement la modalité de leur fonctionnement, tels les corridors de Zip (1997) ou de Pièces détachées BCHN (1999) – passages tendus de plastique et recouverts de tapis rouge, où l’on perçoit des « échantillons» de musique électronique – ou bien encore le parcours en boucle, intimé par Leica 2004, présenté au sein de l’exposition elles@centrepompidou (2009-2011). Dans ce monde impénétrable existent les images récoltées notamment à Berlin : les vidéos Vitrines, Paris-Berlin (1996-1998), Schlüterstrasse, Berlin matin et après-midi (2000) et Schlüterstrasse, neige (2002) confrontent à une frontière qui laisse passer le seul regard. La démarche de l’artiste, selon Michel Gauthier, dramatise la frontière, sans jamais la réitérer ou la représenter. Ainsi, à l’occasion de Contrepoint 3 au Louvre, offre-t-elle à contempler les dos d’un ensemble de statues du XVIIe siècle, silencieusement « enregistrées » par un perchman réalisé en résine (Bump Piece, 2007). Son exposition, Sept pièces faciles, au Grand Café de Saint-Nazaire (2007) revisite des premiers travaux, reprenant le dessin d’une barrière ou d’une hotte. Une grande échelle de métal relie deux étages pour les yeux uniquement ; une route déroule les plis nonchalants de sa bande souple de caoutchouc. Ces pièces évoquent à la fois l’univers du travail (manuel, industriel, intellectuel), mais également son revers : l’oisiveté, la rêverie, autant de métaphores de la pulsation de la création.
Élizabeth LEBOVICI
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions