« Isabelle sculpte, ausculte, s’occulte et exulte », dit Marcel Duchamp : c’est, en peu de mots, décrire la personnalité riche et complexe de cette artiste majeure, mais insuffisamment reconnue de la scène parisienne d’après-guerre. En 1933, la rencontre à Zurich d’Isabelle Waldberg avec le sculpteur Hans Meyer est déterminante pour sa vocation. Après un apprentissage dans les différentes académies de Montparnasse et un voyage d’études en Italie en 1936, elle acquiert une solide formation intellectuelle à l’École pratique des hautes études en sciences sociales (ethnologie et sociologie). Dès ces années-là, elle compte parmi ses amis Giacometti, Masson, Leiris, Bataille – elle est la seule femme de la revue Acéphale – et Patrick Waldberg, qui deviendra son mari ainsi qu’un des analystes les mieux informés sur le surréalisme. Elle le rejoint à New York en 1942, bientôt adoptée par le groupe des « Artists in Exile », notamment les surréalistes, et se lie tout particulièrement avec le peintre Roberto Matta. En 1944, son travail de sculptrice dépasse le cadre strict du surréalisme pour s’approcher d’une certaine abstraction totémiste : elle découvre avec passion, de même que Roberto Matta, Robert Lebel, Max Ernst, les topographies éphémères des Indiens navajos et les masques esquimaux en bois et plumes. Ses premières sculptures sont des constructions légères à claire-voie, réalisées à l’aide de tiges d’osier ou de hêtre flexibles – œuvres précaires, presque artisanales, qui en appellent à une poétique onirique (en 1936, sa découverte du Palais à 4 heures du matin de Giacometti fut déterminante). Suivront des constructions de métal, tout aussi fragiles et transparentes, faites d’un treillis serré de mailles souples ou d’un entrelacs de lignes courbes, dont l’écriture abstraite peut s’apparenter à celle de Mark Tobey, de William Stanley Hayter, et de certains expressionnistes abstraits comme Baziotes et Gorky. La reconnaissance de son travail est immédiate, avec, en 1944, des envois à la galerie The Art of This Century et au Museum of Modern Art (pour sa première exposition de sculptures), à l’exposition Art in Progress (où sont réunis artistes américains et européens), puis à l’exposition Twenty Painters à la Peggy Guggenheim Gallery, où elle côtoie, entre autres, Rothko, Hare, Pollock, Motherwell, Vail. Une première exposition personnelle lui est enfin consacrée à la galerie The Art of This Century, en 1945, en même temps qu’à sa consœur, Alice Rahon*. En 1946, le retour en France d’I. Waldberg (elle s’installe chez Marcel Duchamp) marque un changement radical : la sculptrice revient progressivement au travail dans la masse, avec des plaques de plâtre érigées sur des socles, traversées de failles, de percées – œuvre exorcisante de morphologies « incarnées », qui se font signaux ou trophées (Your Highness, I955 ; Agarien I, 1958), et dont le langage plastique s’approche tour à tour de celui des formes trouées de Barbara Hepworth*, du totémisme orphique d’Alicia Penalba* ou des figures griffées de Germaine Richier*. Malgré l’octroi du prix Bourdelle en 1961 et d’un poste de professeure de sculpture à l’École nationale supérieure des beaux-arts, le soutien admiratif de Robert Lebel, René de Solier, Giacometti, Arp, et de grands collectionneurs, I. Waldberg travaillera dans une solitude grandissante, que lui commande l’exigence d’une expression puissante et personnelle : la matière coule librement, par grandes brassées, dans des constructions de plus en plus pesantes et opaques, lieux d’enfermements et de failles (Chasse ; Coffret ; Cuirasse), véritables « demeures » d’un tempérament d’artiste magnifiquement complexe.
Agnès DE LA BEAUMELLE
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions