Le mouvement Dada Zurich vit naître et surtout se produire, à côté de Hans Arp, Hugo Ball, Marcel Janco, Hans Richter et Tristan Tzara, deux artistes importantes : Sophie Taeuber* et Emmy Hennings. Née dans le nord de l’Allemagne, après avoir appris le métier de comédienne dans une troupe de théâtre ambulante et obtenu divers engagements comme chanteuse dans des cabarets allemands et en Europe de l’Est, E. Hennings fonda en 1916 avec le poète H. Ball, son second mari, le Cabaret Voltaire. Bien qu’intimement liée aux projets avant-gardistes de Zurich, cette performance artist avant la lettre n’épousa jamais l’esthétique « révolutionnaire » de la cause dadaïste. Marquée plutôt par la bohème munichoise des années 1910, fréquentant les poètes, écrivains et artistes expressionnistes du café Simplizissismus, elle transféra son style d’interprète de chansons et de diseuse dans les hauts lieux de l’avant-garde zurichoise. Très vite, grâce à son expérience de la scène et à son charisme, elle devint l’une des principales attractions des soirées Dada : d’abord au Cabaret Voltaire, puis à la Galerie Dada. Elle y offrait au public, sur un ton désinvolte, un vaste répertoire de chansons montmartroises, berlinoises et danoises, tout en récitant les poèmes de ses amis contestataires et ses propres poésies. Jusqu’à tout récemment, l’histoire culturelle a retenu d’E. Hennings essentiellement son rôle de compagne et gardienne de l’héritage – littéraire et mystique – de celui qu’elle aimait et admirait au-delà de la mort : en font foi les livres Hugo Ball, Sein Leben in Briefen und Gedichten (« Hugo Ball, sa vie en lettres et poèmes », 1929), Hugo Balls Weg zu Gott, Ein Buch der Erinnerung (« le cheminement d’Hugo Ball vers Dieu, un livre de souvenirs », 1931) et Ruf und Echo, Mein Leben mit Hugo Ball (« Appel et écho, ma vie avec Hugo Ball », 1953). De ses débuts comme poètesse dès 1910 jusqu’à ses écrits autobiographiques Blume und Flamme, Geschichte einer Jugend (« fleur et flamme, histoire d’une jeunesse », 1938) et Das flüchtige Spiel, Wege und Umwege einer Frau (« le jeu éphémère, chemins et détours d’une femme », 1940), en passant par les saisissants témoignages d’une existence précaire et mouvementée, souvent en marge de la société bourgeoise, tels que livrés dans les récits de soi Gefängnis (« prison », 1919) et Das Brandmal (« la flétrissure », 1920), E. Hennings s’est affirmée comme auteure à part entière, aux visages multiples et à la voix authentique.
Andrea OBERHUBER