Joan Mitchell est l’une des plus grandes peintres américaines du XXe siècle, l’équivalent de ses prédécesseurs expressionnistes abstraits, Pollock ou Rothko, sachant qu’elle abhorrait toute forme de catégorisation de l’art. Fille d’une poétesse et d’un médecin artiste amateur, coéditrice de la revue Poetry, elle hésite un temps entre la poésie et les arts plastiques. Elle étudie, dans le sillage de ses parents cultivés, à la Francis W. Parker School de Chicago, où son professeur d’art lui fait découvrir Oskar Kokoschka. À l’Art Institute de Chicago, elle suit les cours de l’artiste allemand Robert Von Neumann et de Louis Ritman, peintre russe ayant séjourné à Giverny. Elle passe, dans une forme d’isolement créatif volontaire, l’essentiel de sa carrière à Vétheuil, village situé au-dessus de la Seine, qu’elle dit avoir choisi « par hasard », à quelques kilomètres seulement de Giverny, deux lieux « inventés » par Monet, lequel exercera sur son œuvre, d’après elle, une influence moindre que Cézanne ou Van Gogh. En 1948, brièvement mariée à Barney Rosset (le futur grand éditeur), J. Mitchell passe un an en France, s’installe à Paris et loue un atelier dans le même immeuble que Philip Guston. Elle retourne à New York fin 1949 et fréquente les lieux de l’avant-garde artistique américaine comme l’Artist’s Club, où les seules autres femmes admises sont Elaine de Kooning*, Lee Krasner* et Helen Frankenthaler*. Quoique ses œuvres soient abstraites, et ce dès 1951, elle se décrit comme une peintre « visuelle », à la recherche de la sensation. La peinture qu’elle met au point dans cette période, large, lumineuse, énergique, s’appuie sur l’exemple de la nature, dans laquelle la couleur joue un rôle essentiel. « Je peins des paysages remémorés que j’emporte avec moi, ainsi que le souvenir des sentiments qu’ils m’ont inspirés, qui sont bien sûr transformés… », dira-t-elle. Son œuvre se reconnaît à sa graphie hâtive, à la ligne expressive, à la composition éparse et fourmillante, au chromatisme acide, au vide méditatif, au renversement du motif. Pierre Schneider parle aussi de « navette perpétuelle entre l’intériorité et l’extériorité ». Simultanément, elle fait la rencontre à Paris de Sam Francis et du Canadien Jean-Paul Riopelle (1955), dont elle va partager la vie pendant plus de vingt ans. Jusqu’en 1959, elle passe autant de temps à Paris qu’à New York, puis finit par choisir la France comme nouvelle patrie. À partir de 1967, date de l’achat de sa maison de Vétheuil, son galeriste parisien Jean Fournier la montre régulièrement, tandis que l’art américain est plutôt marqué par les développements du pop art et les débuts du minimalisme. L’utilisation du polyptyque, dès la seconde moitié des années 1960 (Girolata Triptych, 1964 ; Chicago 1965), ajoute de la force à son œuvre. En 1969, elle réalise ses premières œuvres de la série des Tournesols en hommage à Van Gogh, initiant le principe de nombreuses séries (Tilleul, 1978 ; La Grande Vallée, 1983 ; Champs, 1990). Présentée largement au public, à l’occasion d’une exposition rétrospective (1974) organisée par la célèbre conservatrice du Whitney Museum of American Art de New York, Marcia Tucker, son œuvre est ensuite soutenue par le galeriste new-yorkais Xavier Fourcade (entre 1976 et 1987). Après la mort de ce dernier, elle est représentée dans cette ville par la galerie Robert Miller, dont le directeur devient son ami. En 1979, J. Mitchell se sépare de J.-P. Riopelle. Son œuvre fait l’objet d’une première exposition rétrospective au musée d’Art moderne de la Ville de Paris (1982). En 1989, elle installe pour ses séjours parisiens un atelier rue Campagne-Première, où elle peint au pastel. Quant à sa démarche picturale, elle la décrit avec franchise : « Je suis émue par les couleurs mises ensemble sur une surface plane […], pas excitée par une idée. »
Scarlett RELIQUET
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions