C’est à l’université de Louvain que Luce Irigaray entreprend des études supérieures qu’elle achève en 1955, avec la soutenance d’une thèse de stylistique sur Paul Valéry. Après avoir enseigné plusieurs années le français, le latin et le grec dans les lycées de Charleroi et de Bruxelles, elle s’installe à Paris au début des années 1960 pour entamer une formation de psychanalyste. Elle poursuit alors des études en psychologie et présente en 1968 une nouvelle thèse, consacrée à la pathologie du langage, qui paraîtra en 1973 sous le titre Le Langage des déments. Entre-temps, elle a choisi la nationalité française, est entrée en 1964 au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et deviendra en 1986 directrice de recherche en philosophie. En 1971, elle invite Antoinette Fouque* et des femmes du Mouvement de libération des femmes (MLF) à partager la charge de cours qu’elle assure à Vincennes : le travail porte sur le corps, la sexualité féminine et le rapport mère/fille. En 1974, elle publie sa thèse d’État en philosophie (université Paris 8), Speculum, de l’autre femme : le livre fait scandale, tant dans les milieux universitaires, où elle perd sa charge de cours, qu’au sein de l’École freudienne de Paris, fondée par Lacan, à laquelle elle appartient alors. S’il s’agit bien pour l’auteure de mettre en accusation le phallocentrisme des théories freudiennes, le propos est plus ambitieux, puisqu’il fait de l’étude de la différence des sexes un enjeu philosophique. Dans cette perspective, tout sujet est nécessairement un sujet sexué et la sexualité féminine se doit de conquérir les valeurs culturelles qui lui ont été jusqu’à présent déniées ou refusées (Ce sexe qui n’en est pas un, 1977).
Cette critique de la culture, qui va de pair avec la participation de L. Irigaray au mouvement féministe, s’accompagne, à partir des années 1980, d’une réflexion sur le droit et l’éthique, liés au corps et à la procréation (L’Éthique de la différence sexuelle, 1984 ; Sexe et parentés, 1987). Elle est alors marquée par l’engagement de la philosophe dans l’action concrète, notamment en Italie où sa pensée est très influente (Amo a te en 1993 y est un best-seller). Cette œuvre, qui réserve une place de choix à la question du sexisme des usages linguistiques (Parler n’est jamais neutre, 1985 ; Sexes et genres à travers les langues, 1990), frappe par une puissance poétique (Et l’une ne bouge pas sans l’autre, 1979), aux accents parfois mystiques (Prières quotidiennes, 2004), comme par la présence vive de son énonciation.
Florence DE CHALONGE