De mère calabraise et de père corse, communiste, Antoinette Fouque suit à l’université d’Aix-Marseille sa première formation classique, littéraire. Elle y rencontre René Fouque et quitte avec lui le Sud pour Paris. Elle se trouve alors en thèse avec Roland Barthes. Lectrice aux éditions du Seuil, elle fréquente les séminaires de Jacques Lacan avec qui elle fera une psychanalyse. L’expérience de la grossesse et la naissance de sa fille, en 1964, entraînent en elle « un mouvement de pensée autour de la différence des sexes » et une conscience de l’exclusion des femmes. Ils prendront leur dimension politique au lendemain du mouvement de Mai, lorsque cette intellectuelle inclassable, d’une singulière liberté de pensée, cofonde le Mouvement de libération des femmes (MLF)*, en octobre 1968, avec Monique Wittig* et Josiane Chanel. Elle invente alors « Psychanalyse et Politique *», groupe de recherche et pratique inédite d’analyse de l’inconscient par le politique et du politique par la psychanalyse, qui devient le centre culturel et intellectuel du MLF et étend son influence en Europe et aux États-Unis à travers ce qui sera appelé le French feminism. Elle se démarque immédiatement des groupes féministes traditionnels, qui se limitent à lutter pour les droits des femmes. À cette dimension revendicative, elle en ajoute une autre, de nature philosophique. Il ne peut y avoir de révolution des femmes sans formuler un questionnement radical : qu’est-ce qu’une femme ? interroge-t-elle en somme. Cette interrogation fondatrice l’amène à développer des positions originales. Elle travaille à lever la censure sur l’existence des femmes « pro-créatrices », sur la part qu’elles assument dans la création de l’humanité pensante, à travers la gestation. Elle fait ainsi du MLF un mouvement de civilisation, éthique autant que politique, affirmatif plutôt que revendicatif, postféministe, « de symbolisation et de production d’une culture des femmes ». Au printemps 1970, lors du premier meeting public du MLF à l’université de Vincennes, elle affirme, en démarquage de Freud : « Nous, des femmes, allons réussir, là où l’hystérique échoue. » Il lui est alors proposé d’animer des séminaires de philosophie et de psychanalyse, et elle apporte ainsi pour la première fois la question des femmes à l’Université. En 1973, elle crée à Paris la première maison d’édition des femmes* en Europe, puis successivement les premières librairie et galerie des femmes* (1974 et 1980), un journal à grande diffusion, Des femmes en mouvements* (mensuel, puis hebdomadaire, 1977-1982), la « Bibliothèque des voix* », première collection de livres parlants, pour « réconcilier l’oral et l’écrit », et de nombreuses associations pour lutter contre la misogynie, pour la parité, pour une démocratisation par et avec les femmes. Elle parcourt le monde à la rencontre des femmes en lutte, vient en aide aux femmes menacées, d’Eva Forest à Aung San Suu Kyi *, de Leyla Zana* à Taslima Nasreen*, conjuguant solidarité dans l’action et dans l’écriture pour faire tomber les murs. À partir de la fin des années 1980, les femmes lui semblent avoir « acquis suffisamment de citoyenneté et d’indépendance pour affirmer leur existence au niveau politique » ; elle présente, avec l’Alliance des femmes pour la démocratie qu’elle a créée en 1989, des listes pour faire avancer la parité. En 1994, elle est la première femme du mouvement à être élue au Parlement européen, et y assurera la vice-présidence de la Commission des droits des femmes. Elle est membre de l’Observatoire de la parité de 2002 à 2010. Ayant soutenu une thèse de doctorat à l’université Paris 8 en 1992 et passé l’habilitation, elle dirige des recherches en « féminologie *», une science qu’elle élabore pour faire sortir de la forclusion le savoir des femmes, véritable « révolution du symbolique ». Elle a, dit le psychanalyste Serge Leclaire avec qui elle a longtemps travaillé, « animé », voire « ranimé » le mouvement psychanalytique. En dégageant, au-delà de la libido phallique, l’existence d’une libido femelle ou libido creandi, en démontrant que l’« envie de l’utérus » est le ressort caché de la civilisation (religions, mythes, cultures), elle lui a apporté une théorie de la « géni(t)alité », qui manquait chez Freud et Lacan. Ses concepts de la « chair pensante » et de la « gestation comme paradigme de l’éthique », qui affirment à la fois la dignité de la chair et celle de la pensée comme penser à l’autre, ont ouvert la philosophie à une vérité « matérielle », matérialiste, matricielle. En associant procréation et libération des femmes, elle a promu un nouveau modèle de société réellement hétérosexuée et paritaire : les Françaises conjuguent aujourd’hui le plus fort taux de fécondité de l’Union européenne à un très fort taux d’activité professionnelle. Pionnière des causes qui, quarante-cinq ans après la création du MLF, irriguent, transforment, mobilisent le champ sociétal, elle voit dans le mariage et l’adoption homosexuels une levée d’interdit sur le désir d’enfant, et dans la gestation pour autrui la mise en lumière du don que constitue chaque gestation. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages de référence. Le titre du premier, Il y a deux sexes, a, à ce jour encore, valeur d’affirmation programmatique. Son projet de Dictionnaire encyclopédique des femmes (voir le journal du MLF, Le Torchon brûle*, 1973) est contemporain de la création des éditions des femmes pour l’accueillir. À l'occasion du 8 mars 2018, Anne Hidalgo*, mairesse de Paris, inaugure avec Frédérique Calandra, mairesse du 20e arrondissement, la rue Antoinette Fouque.
Christophe BOURSEILLER