Féministe de la première heure, Madame Yevonde est à la fois une artiste excentrique et une photographe professionnelle reconnue. Sa carrière débute en 1910 lorsqu’elle devient l’assistante de Lallie Charles (1869-1919), une photographe de tendance pictorialiste. La même année, elle rejoint le mouvement des suffragettes et milite pour le droit de vote des femmes. Avec son propre studio qu’elle monte juste avant la Première Guerre mondiale, elle souhaite se démarquer des entreprises de portrait traditionnel. En 1920, elle épouse Edgar Middleton, dramaturge et journaliste. Dans les années 1930, elle reçoit de nombreuses commandes publicitaires et commerciales, qu’elle réalise de façon innovante, notamment par son utilisation de la couleur, qui la rend célèbre. Convaincue que la photo est à la fois science et art, elle multiplie les recherches techniques et découvre, au début des années 1930, le processus Vivex, qu’elle utilise jusqu’à la Seconde Guerre mondiale pour de nombreux portraits restés connus, notamment sa série des déesses (Goddesses) qu’elle commence en 1935. Chaque portrait mondain est interprété de façon mythologique. Lady Diana Mosley, épouse d’un leader fasciste, est Vénus, tandis que Mrs Anthony Eden, compagne d’un leader travailliste, est la muse de l’Histoire. Dans ces parodies quasi surréalistes, les couleurs sont criardes, les traits exagérés et les décors artificiels. La série est audacieuse formellement, mais aussi socialement pour l’ironie avec laquelle les représentations féminines sont interrogées, de Medusa au regard glaçant à Flora, romantique et innocente, en passant par Minerva, symbole de l’androgynie militante. Comme Claude Cahun* ou Cindy Sherman*, la photographe joue avec les archétypes féminins et la transgression des genres, en particulier dans ses autoportraits, comme celui réalisé en 1940 où elle se place sous les auspices d’Hécate. Elle renverse les stéréotypes érotiques avec humour, lorsqu’elle expose, par exemple, Machine Worker in Summer (1937) à la Royal Photographic Society, photographie d’une femme nue devant une machine à coudre, dans un décor allégorique. Son intérêt pour le corps apparaît aussi dans une série sur les tatouages (Tattoo Study, 1938). On trouve également chez elle cette constante de la photographie féminine : la volonté de se représenter en professionnelle. Ainsi, dans un autoportrait de 1937, elle pose, élégante, une chambre photographique à la main.
Anne REVERSEAU
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions