Au cours de ses années de formation au Pratt Institute puis à la Boston University College of Fine Arts, Pat Steir est l’élève de Philip Guston et Richard Lindner. Elle travaille d’abord comme illustratrice, graphiste, et devient l’amie de personnalités telles que Sol LeWitt, Lawrence Weiner et d’autres artistes conceptuels. Marquée par sa rencontre avec Agnes Martin*, elle tend vers une forme d’abstraction n’excluant pas la réalité. Outre sa pratique picturale, elle travaille aussi dans l’édition : depuis ses débuts, elle est engagée auprès de revues féministes, dont Heresies et Semiotext(e). Ses toiles sont une réflexion sur la peinture. Réalisant des séries qu’elle reprendra tout au long de sa vie, elle axe son œuvre autour du paysage et de l’autoportrait. Ainsi, Waves and Waterfalls (« vagues et cascades », 1982-1992), Summer Moon (« lune d’été », 2005), Gold and Silver Moon Beam (« rayon de lune or et argent », 2006), Water & Stone (2010) font signe aux paysages de Courbet, de Turner et d’Hokusai ; leurs multiples traits verticaux, produits par maintes coulures régulières, résonnent avec le dripping de Jackson Pollock. Dans la célèbre série des Waterfalls, l’artiste dilue en effet la peinture à l’huile, qui ruisselle du haut du tableau jusqu’au sol. Denys Zacharopoulos écrit au sujet des autoportraits de P. Steir : « Self-Portrait n’est pas un tableau et ne représente aucunement un visage, son visage. Ce regard pluriel, réversible, équivoque, changeant, qui fait un avec le temps et se divise à l’infini des autres dans l’espace, son être protéiforme et mouvant, enveloppant-enveloppé, est “l’autoportrait” » (Pat Steir, 1990). L’œuvre de P. Steir interroge les questions de l’image, du signe et du symbole : Deviations and Variations (1973) est une grille, dont chaque partie est occupée par une croix, un oiseau ou encore un carré noir. Inspirée par les réflexions communes menées par les artistes conceptuels, elle développe une peinture qui inclut des chartes de couleurs, mais aussi des mots et des images ; elle adopte ainsi, immédiatement, une tonalité très poétique. À partir de 1981, elle réalise des peintures de fleurs. Dans Brueghel Series (Vanitas of Style) (1982-1984), elle s’inspire du peintre Jan Brueghel le Vieux : l’image composite d’un vase de fleurs est découpée en de multiples petits rectangles, structurant dans leur ensemble d’immenses rectangles ; élaborée sous forme de grille, elle présente certains panneaux composés de huit rectangles par huit, d’autres, de quatre par quatre ; les plus grands produisent une peinture absolument vibrante, les autres sont polychromes. Par les rainures ménagées entre les parties, une nouvelle méditation sur la « vanité » en tant que passage est amorcée. Grâce à cette utilisation d’images à la manière d’un puzzle, P. Steir se situe à mi-chemin entre une peinture méditative et le constructivisme. Son œuvre est tout entière faite de ces synthèses entre différentes formes et époques de la peinture. À la fin des années 1980, elle met en place sa technique de « déversements en cascade », qui multiplie les coulures. Elle associe le motif produit par le mouvement de la matière colorée à l’image de la cascade (Waterfall Painted with the Chinese in Mind, 1987). Entre tracé fin et matérialité des coulures, elle invente un équilibre très fragile, qui fait de ces peintures de véritables espaces de méditation. En 1993, la série Elective Affinities, d’après le titre de Goethe, reprend le principe des Waterfalls. Elle affirme ne pas faire de différence entre le processus qui mène à l’abstraction et celui qui mène à la figuration. Après avoir peint dans des tonalités de gris, P. Steir réintroduit progressivement la couleur. Toute son œuvre fonctionne sur le principe de la série et de la variation. Opacité et transparence, dynamisme et simplicité se réconcilient dans ses toiles : c’est le cas par exemple dans Sixteen Waterfall of Dreams, Memories and Sentiments, dans les années 1990. Dans ses peintures récentes (Moons and a River, 2004), elle poursuit sa recherche sur ses grandes toiles vibrantes, obtenues par l’application subtile de couleurs telles que le jaune et le blanc. Certaines œuvres, telles que Sun Moon, vont jusqu’à l’invisibilité du blanc, tandis que Black Moon recouvre toute la toile de noir. La série Blue River, enfin, partage de très grands formats horizontaux en plusieurs plages de couleur, le bleu dominant au centre.
Marion DANIEL
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions