Les théâtres de marionnettes traditionnels, longtemps entre les mains des hommes, ont été soumis aux mêmes règles que le théâtre d’acteurs, et donc, dans certaines cultures ou à certaines époques, à l’interdiction faite aux femmes de monter sur scène. Les premiers spectacles de marionnettes dirigés par des femmes l’ont donc souvent été dans des cercles privés ou semi-privés, l’espace de la prise de parole publique (fût-elle médiatisée par la représentation théâtrale) leur étant refusé.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, en Europe où le développement de traditions nationales et régionales de la marionnette, destinées à un public populaire, repose très souvent sur une économie de type familial, chacun trouve à s’employer et les femmes jouent parfois un rôle-clé pour la bonne marche de l’entreprise (cousant les costumes, tenant la caisse et les comptes, faisant la parade, prêtant leurs voix et manipulant les marionnettes pour les rôles féminins), et, dans certains cas, pour la direction de l’établissement ou sa transmission. Ainsi, dans les dynasties de montreurs forains du nord de la France, les filles héritent souvent du théâtre ambulant de leurs parents.
Parallèlement, à l’intérieur des cercles littéraires et artistiques, des personnalités telles que George Sand* et Judith Gautier* contribuent à modifier le regard porté sur la marionnette. Elles sont suivies, pendant la première moitié du XXe siècle, par un grand nombre de femmes : certaines réalisent des poupées artistiques destinées à l’exposition plutôt qu’à la scène, telles Lotte Pritzel (1887-1952), Grietje Kots (1905-1993), Hannah Höch* (1889-1978) ; d’autres, pédagogues ou militantes, décident de se consacrer au théâtre de marionnettes, telles Maria Weryho-Radziwiłłowicz (1858-1944) ou Leonora Schpet ; d’autres encore, peintres ou scénographes, y voient un terrain propice à la réalisation complète d’un projet artistique, comme Natalia Gontcharova*, Sophie Taeuber-Arp*, Alexandra Exter*. Avec la danse, et bien avant le théâtre d’acteurs, le théâtre de marionnettes devient en quelques décennies le lieu où des femmes peuvent entièrement concevoir, réaliser un spectacle et s’affirmer pleinement comme metteurs en scène, dès les années 1910-1930, en Russie, en Europe centrale et au Canada, telles Ioulia Slonimskaia (1884-1957), Nina Simonowitch-Efimova*, Rosalynde Osborne (1888-1990) ; après la Seconde Guerre mondiale dans le reste du monde. Aujourd’hui encore, la proportion de femmes à la tête de compagnies et d’institutions du théâtre de marionnettes, sans atteindre celle des artistes chorégraphes, semble plus importante que dans le théâtre d’acteurs. Une autre spécificité de la marionnette est le nombre élevé de compagnies reposant sur un couple : on peut lire dans ce phénomène à la fois la marque d’une économie très fragile, construite sur la polyvalence et l’artisanat, et la trace de l’ancienne organisation familiale de cet art, proche encore sous bien des aspects de ses origines populaires.
La présence active des femmes dans le théâtre de marionnettes contemporain a plusieurs incidences. Tout au long du XXe siècle, le répertoire destiné au jeune public et, plus généralement, les missions pédagogiques ou éducatives prennent une importance croissante. Dans les pays communistes en particulier, on peut émettre l’hypothèse qu’un lien étroit s’est ainsi constitué entre trois évolutions parallèles : l’accès des femmes à des fonctions de responsabilité artistique, de direction administrative ou de politique culturelle dans le domaine de la marionnette ; l’institutionnalisation plus ou moins poussée de cet art ; la part grandissante des spectacles pour enfants. Les fonctions d’éveil du goût et de la sensibilité, de transmission des valeurs, d’apprentissage des conduites et de découverte de l’héritage culturel occupent dès lors une place de premier plan dans les productions, en lieu et place du comique, de l’héroïsme, du romanesque ou de l’insolence qui faisaient la force des spectacles traditionnels. Les femmes ont donc largement contribué à l’entrée du théâtre de marionnettes dans la modernité, mais cette évolution, au moins dans un premier temps, s’est accompagnée du recentrement autour d’un rôle féminin bien connu : celui d’éducatrice.
L’implication des femmes dans le domaine de la marionnette conduit, dans certains cas, à l’apparition de nouvelles thématiques. La marionnette peut par exemple être utilisée pour parler de la condition féminine dans des spectacles à vocation militante, mais peu de personnalités marquantes se sont durablement engagées dans cette voie. En revanche, depuis les années 1990, certaines créatrices ont recours aux marionnettes, aux masques et aux effigies théâtrales pour traiter de thématiques directement liées aux questions de l’identité féminine, du rapport au corps, de la sexualité et de l’enfantement notamment. Scènes d’accouchement dans les spectacles d’Ilka Schönbein*, images d’agression sexuelle, de naissance monstrueuse et de dévoration chez Nicole Mossoux*, fantasmes érotiques mis en scène chez Gisèle Vienne* : marionnettes, objets et mannequins sont, pour ces artistes, les instruments privilégiés d’une exploration scénique des zones les plus troubles ou les plus inquiètes de la conscience.
Didier PLASSARD