Issue d’une famille bourgeoise d’intellectuels, Meret Oppenheim passe les années de guerre dans le Jura suisse, avec sa mère. Après le conflit, sa famille s’installe à Steinen (sud de l’Allemagne), puis à Bâle en 1935. Très jeune, elle s’intéresse à la psychanalyse, sujet souvent abordé en famille – son père suit les séminaires de Jung –, et note ses rêves. Sa mère et sa grand-mère, suffragette et féministe, la soutiennent dans ses désirs d’indépendance. La jeune fille ne termine pas ses études et fréquente des artistes de Bâle. En 1932, elle vient à Paris avec Irène Zurkinden (1909-1987), fréquente l’académie de la Grande Chaumière, mais préfère écrire et dessiner dans les cafés de Montparnasse, où elle rencontre Giacometti, Hans Rudolf Schiess, Sophie Taeuber-Arp* (1889-1943) ainsi qu’Hans Arp et Max Ernst. De 1933 à 1936, elle expose à plusieurs reprises avec les surréalistes, à Paris, Copenhague, Londres et New York. Outre le dessin, elle pratique la peinture, le collage, l’assemblage, la transcription de rêves, et réalise des objets anthropomorphiques. En 1933-1934, elle pose pour Man Ray dans une série de photographies érotiques, publiée dans la revue Minotaure. À partir de 1936, elle gagne sa vie en dessinant des bijoux et des vêtements pour la haute couture. La même année, la galerie Marguerite Schulthess à Bâle accueille sa première exposition personnelle, où figure notamment Ma gouvernante, pièce importante qui joue sur l’ambiguïté des objets et la fétichisation du féminin : deux escarpins de femme retournés sont présentés ficelés comme un rôti sur un plat. L’artiste aime banaliser le geste de création. Alors qu’elle montre à ses amis, Dora Maar* et Picasso, une de ses créations pour Schiaparelli*, un bracelet dont la face interne est décorée de fourrure, Picasso suggère, en plaisantant, de recouvrir entièrement le bijou de fourrure. Cela lui donne l’idée du Déjeuner en fourrure (1936), un service à déjeuner en fourrure, qui deviendra l’une des œuvres phares du surréalisme, unique et originale dans sa poétique. Elle propose ainsi, en reprenant les gestes fondateurs de Duchamp, de réévaluer les objets du quotidien, mais aussi la notion de l’art et du créateur. En 1937, démunie, elle revient à Bâle pour apprendre la restauration et en vivre. Sentant l’imminence de la guerre, elle ne retourne à Paris que pour exposer dans la galerie Drouin-Leo Castelli Traccia, une « table à pattes d’oiseaux », dont le plateau est marqué d’empreintes de pattes, et deux autres objets. Le 13 juillet 1939, elle s’exile en Suisse, où elle respire au grand air à travers ses œuvres, notamment Le Paradis est dans la terre (1940) : un arbre inversé dans un ciel bleu se dévoile au fond d’un puits. Puis elle abandonne peu à peu son travail, qu’elle ne reprendra réellement qu’en 1954. Elle s’interroge aussi sur sa place comme artiste femme. Féministe, indépendante et libre, son séjour à Paris lui a fait comprendre qu’elle doit travailler seule, en marge de l’univers machiste des surréalistes, qui la considéraient comme une femme-enfant. En 1949, elle épouse Wolfgang La Roche, un marchand anticonformiste. En 1950, de retour à Paris, elle renoue avec ses anciens amis et expose dans divers lieux. En 1956, elle réalise les costumes et les masques d’une pièce de théâtre inspirée d’une œuvre de Picasso, Le Désir attrapé par la queue. À cette occasion, elle présente à l’exposition Anti-Kunst (« anti-art »), qui se tient au foyer du théâtre, Le Couple, deux bottines de femme à lacets, reliées l’une à l’autre par les pointes. En 1959, elle organise à Berne un banquet célébrant l’arrivée du printemps, symbole de la fécondité, où les mets sont servis sur le corps d’une femme nue. André Breton l’invite à réitérer l’événement à Paris en décembre 1959 à la galerie Cordier, mais la plasticienne y dénoncera le voyeurisme des spectateurs et le rôle passif ainsi donné au corps féminin, loin de son propos d’origine. Ses projets artistiques prennent de l’ampleur ; M. Oppenheim réalise des sculptures en bois et en pierre ; elle expose en Italie, en Allemagne, aux États-Unis. À partir de 1967 sont organisées de grandes rétrospectives autour de son travail.
Catherine GONNARD
Consultez cet article illustré sur le site d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions