L’utérus est l’organe sexuel de la gestation chez les femmes et chez les mammifères femelles. Du latin uterus, « sein, ventre de la mère ; ventre, flanc d’un animal », le terme est apparenté au grec ancien hustera, matrice. Lieu de la procréation, organe unique – et à ce jour irremplaçable – de la survie de l’humanité, il a jusqu’au XXe siècle été méconnu, diabolisé ou appréhendé à partir de sa seule pathologie ou comme origine de maladies, et longtemps objet de projections négatives. Son importance fut identifiée en Égypte puis en Grèce anciennes. Hippocrate voyait en lui un organisme vivant dont le déplacement dans le corps créait des troubles (suffocations, convulsions), et inventa pour les décrire le terme d’hystérie. Pour Platon l’utérus est un « animal sans âme » possédé du désir de faire des enfants. Le renvoi de la capacité procréatrice des femmes à une fonction animale ou strictement biologique n’est donc pas nouveau. Pour Aristote, premier auteur connu d’un traité d’embryologie, De la génération des animaux, l’homme est le seul générateur de la vie humaine car les femmes manquent du principe de l’âme. Avec le développement du christianisme, les symptômes expriment désormais un plaisir sexuel, le diable est entré dans le corps des femmes, l’hystérique devient la sorcière, brûlée par l’Inquisition à partir du XVe siècle. L’utérus est vu comme signe de la fureur des femmes, comme si elles n’étaient pas des êtres pensants, longtemps interdites de pensée, d’études ou d’écriture.
Si l’utérus « porté » par une femme fait peur, le matriciel est magnifié lorsqu’il est confisqué par les dieux. Dans la mythologie grecque et les religions judéo-chrétiennes, tout est inversé : Zeus avale Métis enceinte pour accoucher d’Athéna par la tête. Dieu crée Adam d’où Ève est issue, et par l’Incarnation dans le corps de Marie, le Verbe – qui désigne Dieu – se fait chair. En hébreu, le mot rahamim, « miséricorde », l’attribut majeur de Dieu, vient de la même racine que le mot rehem, « utérus », et la miséricorde est cette qualité qu’a la matrice de porter l’embryon.
La Renaissance et les Lumières réinventent un savoir théorique et thérapeutique, l’hystérie se sépare petit à petit de l’utérus et devient un trouble nerveux siégeant dans le cerveau et affectant les femmes ou les hommes. La première représentation correcte du fœtus dans l’utérus vient de Léonard de Vinci, qui cherchait passionnément à comprendre le mystère de la vie humaine, mais il n’a pas publié ses carnets intimes car il transgressait l’interdit papal de la dissection. Diderot est le premier à mettre en lumière l’utérus d’un point de vue scientifique et lui consacre un article ainsi qu’une grande planche dans l’Encyclopédie éditée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Dans ses ouvrages, il affirme tantôt que l’homme n’est pas le seul dans la perpétuation de la race humaine et qu’il y a une véritable symétrie entre les organes génitaux de la femme et ceux de l’homme, tantôt que la femme a un organe en plus, qui fait d’elle un être bizarre et passionné. Quand il écrit que « la raison ou l’instinct de l’homme est déterminé par son organisation et par les dispositions, les goûts, les aptitudes que la mère communique à l’enfant qui pendant neuf mois n’a fait qu’un avec elle », Élisabeth de Fontenay* voit en lui un « gynéconome ».
Avec la révolution « génésique » qu’apporte le Mouvement de libération des femmes (MLF)* dans la seconde moitié du XXe siècle, les femmes acquièrent le droit à la maîtrise de leur fécondité et commencent, pour la première fois dans l’Histoire, à se réapproprier et à penser la fonction matricielle. « Notre corps, nous-mêmes ! » « L’usine est aux ouvriers, l’utérus est aux femmes, la production de vivant nous appartient », scandent-elles, tandis que la théoricienne Antoinette Fouque* met à jour une libido utérine nommée aussi libido creandi ainsi que le concept d’envie de l’utérus en réponse à celui d’envie de pénis posé par Sigmund Freud.
L’utérus n’en a pas pour autant encore acquis de statut symbolique : le terme ne figure ni dans les dictionnaires de psychanalyse, ni dans le vocabulaire de la philosophie, ni même dans l’Encyclopædia Universalis.
En revanche les études scientifiques et médicales qui se sont multipliées ces trente dernières années l’ont fait sortir du « continent noir » auquel étaient renvoyées les femmes, en dévoilant l’extrême complexité de son fonctionnement et la richesse des connections et échanges intra-utérins entre la gestatrice et l’enfant.
Une première greffe d’utérus réussie a été réalisée en 2011 en Turquie, mais l’embryon implanté par la suite n’a pas survécu au-delà de huit semaines de grossesse. Dans le même temps, des chercheurs dans le monde tentent de créer un « utérus artificiel » : incubateur extracorporel où se développerait le bébé de la conception jusqu’à sa naissance. Un progrès médical ou la poursuite de la réalisation d’un des plus anciens fantasmes de l’homme : se passer de l’utérus des femmes pour procréer ?
L’archéologie humaine, désormais éclairée par la science, témoigne en tout cas de l’importance du corps charnel et psychique des femmes, à ce jour encore le premier et seul environnement de l’être humain à venir.
Françoise BORIE